Interview de Pierre-François Godet – Trésorier du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux


« Il faut remettre l’équité, la solidarité et les valeurs
du service public au cœur du management à l’hôpital »

À l’origine, l’APPA est une émanation du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH) avec lequel elle continue d’entretenir une relation de partenariat privilégiée. Rencontre avec le Dr. Pierre-François Godet, psychiatre à l’hôpital du Vinatier (Bron, 69) et trésorier du syndicat, qui cumule plus de 30 ans d’engagement et une langue hors de la poche, surtout lorsqu’il s’agit de défendre le service public de la discipline…

Qu’est-ce que le SPH ?

C’est le principal syndicat représentant les psychiatres de service public. Il a été fondé en 1945, la même année que la revue scientifique, L’information psychiatrique. Il regroupe aujourd’hui environ 20 % des psychiatres hospitaliers ou assimilés, ce qui a beaucoup changé depuis plusieurs décennies. Pendant longtemps, les psychiatres hospitaliers étaient nommés par une commission paritaire, composée notamment de praticiens élus, à travers les syndicats. La plupart des psychiatres étaient alors syndiqués car il était préférable d’être soutenu pour obtenir un poste. Puis le système de nomination a changé, désormais sous la responsabilité du Ministère de la Santé. Cela a eu un impact évident sur les adhésions mais aussi sur la mission des différents syndicats, comme le nôtre, désormais essentiellement axée sur la défense des intérêts catégoriels et de la discipline dans son ensemble.

Quelles sont ces missions justement ?

De façon générale, en tant que syndicat, on défend la profession et notre mode d’exercice, dans un contexte globalement très hostile puisque la médecine publique est de plus en plus délaissée. C’est particulièrement vrai pour la psychiatrie, qui reste une discipline « humaine », par définition onéreuse, avec laquelle la logique d’économies et de rationalisation n’est pas compatible : pour vous donner une idée, 85 % des charges d’un hôpital psychiatrique viennent en moyenne des dépenses de personnel, contre 70 % dans un hôpital général ! On milite justement, vu le nombre de postes vacants, pour l’augmentation des salaires, car c’est le seul moyen de redevenir attractif. On ne va pas se mentir : les praticiens font partie des catégories privilégiées par rapport à la population générale, mais on ne peut pas non plus nier que nous évoluons dans une économie de marché, un système concurrentiel, où les collègues sont mieux payés et ont moins de pénibilité dans le privé, que ce soit en clinique ou en cabinet…

Quelles actions menez-vous auprès de vos adhérents ?

On intervient sur plusieurs champs. D’abord, un travail d’information en direction des collègues qui ne sont généralement pas très bien informés sur leurs statuts, et donc sur leurs droits. C’est le cas de la retraite, actuellement. Il faut produire et diffuser cette information, ce qui est très chronophage et occupe une bonne partie du temps alloué au syndicat. Ensuite, on a un rôle d’intervention ponctuelle lorsqu’on est sollicité pour défendre un adhérent, sur une problématique statutaire, ou l’exercice de la discipline, dans son ensemble, lorsqu’il s’agit par exemple de contester un texte par voie judiciaire. Enfin, on a une mission d’écoute et d’étude de la situation des psychiatres de service public, notamment à travers des sondages. On en a produit une, récemment, sur le sujet de l’isolement et de la contention. Et une autre, qui vient de se terminer, sur la pénibilité et l’attractivité de la profession.

Pouvez-vous nous en dire plus ?

Pas encore, car il y a maintenant un gros travail d’analyse, qui va sûrement prendre du temps, mais je peux vous parler de la démarche… On a lancé cette enquête en ligne, durant 1 mois, auprès de tous les psychiatres d’exercice public de notre base de contacts. L’objectif était de les interroger sur leur situation professionnelle, à travers des critères objectifs (sexe, âge, environnement, activité principale, nature de l’établissement, etc.) et d’autres sujets de l’ordre du ressenti. On leur a par exemple demandé d’exprimer leurs motifs de plaisir dans le travail ou leurs principales sources de reconnaissance. Au total, il y avait une cinquantaine de questions. On a reçu près de 1 200 réponses, ce qui est beaucoup et intéressant puisqu’une majeure partie vient de praticiens non-adhérents, permettant d’avoir une vision assez large au-delà du seul syndicat.

Est-ce que la psychiatrie est une spécialité particulièrement exposée aux risques psychosociaux ?

Oui et non. D’un côté, c’est une discipline qui reste très axée sur l’humain et la relation, donc je dirais que nous sommes encore un peu épargnés. Par contre, il y a aussi des risques, au sens propre, en particulier dans la psychiatrie de secteur avec les soins sans consentement. Comme on a des patients qui ne sont souvent pas conscients de leur maladie et qui évoluent, à l’image de la société, vers une forme d’intolérance croissante à la frustration, les psychiatres sont globalement plus exposés à leur vindicte ou à celles de leurs proches. C’est usant et c’est un facteur de risques particulier que l’on retrouve également dans d’autres spécialités, comme les urgentistes. C’est valable aussi pour le suivi. Quand quelqu’un a une rechute de son cancer, il en veut à son cancer ou à ses habitudes de vie, mais pas à son cancérologue. Mais quand quelqu’un présente une rechute sévère de sa psychose, il ne croit pas plus à son psychiatre qu’à sa psychose…

« Délivrer des messages de prévention des risques induits par les réseaux sociaux, c’est très bien, mais ça ne coûte rien à côté des moyens humains qu’il faut pour prendre en charge ceux qui ont échappé à la prévention ! »

Pierre-François Godet

Et quel est votre regard syndical, plus général, sur ces risques à l’hôpital ?

De façon plus générale, concernant la médecine publique, je pense que l’hôpital est vraiment malade dans son mode de management. Il y a vraiment des problématiques structurelles que l’on retrouve, dès les études de médecine, à travers une logique d’écrasement et de souffrance, comme si c’était la clé de la réussite au détriment de l’esprit d’équité, de solidarité, de… service public ! J’ai souvent coutume de dire qu’on a tendance à prendre le pire de la culture latine (la logique de gladiateur, combattre et souffrir) mais aussi le pire de la culture anglo-saxonne, avec une logique économique et néo-libérale complètement inadaptée au fonctionnement d’un service public hospitalier. Ça créé de la souffrance et de l’incompréhension. L’enjeu du management est fondamental, mais il faut y consacrer beaucoup de temps et être très lisible auprès des personnes concernées. En tant que chef de pôle, par exemple,  j’essaye de préserver de l’équité. Par exemple, dans le pôle, nous avons mis en place une « grille de pénibilité », connue de tous, liée aux matinées de permanence médicale les samedis dimanches et jours fériés.. Quand quelqu’un va travailler un dimanche de week-end prolongé, on va compter 3 points ; ce sera 1 point pour un samedi « ordinaire », etc. Chacun a accès à un tableur où il peut voir toutes ces informations et faire des simulations sur sa propre pénibilité. L’idée, c’est de réintroduire de l’équité, de la transparence, des outils de partage et d’échanges. Il faut s’en donner les moyens, car cela prend du temps. C’est toujours perfectible mais je préfère largement cette démarche à d’autres logiques, basées sur celui qui parle le plus fort ou celui qui est le plus ancien…

Le fait qu’on parle beaucoup de santé mentale a-t-il un impact sur la discipline ?

La santé mentale, c’est très à la mode. Mais ce n’est pas la psychiatrie et il y a une sorte de confusion entretenue à destination de l’opinion, qui ne contribue pas à s’attaquer, selon moi, aux vrais problèmes structurels. Prenez les réseaux sociaux, par exemple. C’est un vrai sujet de santé mentale, car ils peuvent être source de souffrance, diminuer le niveau cognitif, le lien social, etc. Cela concerne tout le monde, mais quand quelqu’un va révéler des troubles autistiques, des phénomènes de harcèlement ou décompenser des symptômes après en ligne, on entre cette fois dans le registre de la psychiatrie. Délivrer des messages de prévention des risques induits par les réseaux sociaux, c’est très bien, mais ça ne coûte rien à côté des moyens humains qu’il faut pour prendre en charge ceux qui ont échappé à la prévention !

Le souci avec cette confusion, c’est qu’une problématique liée à l’exercice de la psychiatrie va être abordée sous l’angle de la santé mentale, pour donner à croire que le sujet est traité, alors que les besoins, les moyens nécessaires et les situations sont complètement différents. Il y a beaucoup d’acteurs qui font des choses très bien pour la visibilité et l’accompagnement de la santé mentale. Quand une personnalité politique va visiter ou soutenir une démarche en la matière, plutôt qu’une unité psychiatrique, c’est très positif, mais il ne faut pas croire ni laisser croire que cela va résoudre nos problèmes de fond et nos manques de moyens.  Annoncer au JT de 20 heures 200 000 euros de subvention pour une association ou une campagne de prévention, ça impressionne, ça rassure, mais ça suffit à peine à payer le salaire et les charges d’un(e) psychiatre, d’un(e) psychologue et d’un(e) infirmier(ère) pour une année. 12 millions de nos concitoyens souffrent d’un trouble mental, dont plus de 2 millions d’une forme sévère (trouble bipolaire, schizophrénie, dépression résistante).

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