Interview d’Olivia Fraigneau, INTERNE EN MÉdecine d’URGENCE


Quelques semaines avant la fin de son mandat à la présidence de l’ISNI, Olivia Fraigneau nous parle des difficultés des internes…

« Chez les nouvelles générations, c’est certain qu’il y a une volonté de ne plus donner sa vie au travail. Ce n’est plus compatible avec la société, la vie familiale et sociale à laquelle tout le monde aspire. »

Olivia Fraigneau

Le parcours et l’énergie débordante d’Olivia Fraigneau sont intimement liés à ses engagements professionnels et militants. En 2022, elle est élue Présidente de l’Intersyndicale Nationale des Internes après avoir été elle-même victime d’un burn-out lors de son internat… Nous avons recueilli son témoignage, quelques semaines avant la fin de son mandat, dans le cadre de la préparation de notre nouvelle plateforme « Coup de Blouse » sur les risques psychosociaux à l’hôpital.

Quel est votre parcours ?

J’ai passé les ECN en 2019 à Amiens, j’ai ensuite choisi Paris pour l’internat. Je me suis toujours investie dans le secteur associatif et la représentation syndicale durant mes études de médecine. J’ai donc postulé pour rejoindre le bureau national de l’Association des Jeunes Médecins Urgentistes car ma spécialité étant « jeune », elle est assez méconnue et souffre de nombreux stéréotypes contre lesquels j’avais envie de lutter. Je souhaitais contribuer à montrer que la médecine d’urgence pouvait être vraiment un choix de carrière ! L’association étant membre du réseau de l’ISNI, j’ai participé aux assemblées générales de l’intersyndicale pour me former et pour représenter la voix des urgentistes. J’ai alors commencé à prendre une part active dans la construction de certains projets de l’ISNI puis j’ai déposé ma candidature pour devenir présidente sur le mandat 2022-2023. J’ai vécu mon internat comme tout le monde et je l’incarnais lors de la candidature ; c’était important pour moi de rester connectée avec la réalité de ce qu’est l’internat, afin de pouvoir continuer à en parler…

« Les internes représentent une part de plus en plus importante du nombre de médecins actifs dans les hôpitaux, mais il y a toujours moins de moyens sur le plan administratif ou médical. »

Olivia Fraigneau

Vous avez été vous-même victime d’un burn-out ?

J’ai fait un burn-out à la fin de mon troisième trimestre d’internat et j’ai été arrêtée pendant 3 semaines. Ce n’était pas une époque évidente. D’abord, il a fallu reconnaître que ça n’allait pas… J’avais une réelle incapacité physique à sortir de mon lit, je ne sortais plus de chez moi en dehors du travail, alors que j’avais justement choisi Paris pour profiter de la vie culturelle. C’était vraiment lié aux conditions de travail : à l’époque, j’étais à l’hôpital en continu ! J’ai mis beaucoup de temps à comprendre l’impact que cela avait sur moi, que ce n’était pas normal d’aller aussi mal et que j’avais des pensées suicidaires que je n’interprétais même pas comme telles. Heureusement, j’étais très bien entourée et il y a eu des gens qui ont su voir que ce n’était pas juste de la fatigue et m’ont aidé à me faire accepter qu’il fallait que j’aille consulter. Je l’ai d’abord vécu comme un échec. Ensuite, la situation m’a mise profondément en colère car elle brisait quelque chose auquel je tenais depuis tant d’années. J’étais très en colère contre les institutions, l’hôpital, mes chefs, et même mes co-internes car on entretient beaucoup de situations dramatiques…

Est-ce que l’internat favorise le burn-out ou cela remonte-t-il à encore plus loin ?

C’est compliqué et, d’une façon générale, on voit beaucoup d’internes qui vont mal sur le plan psychologique. Je dirais que les facteurs du burn-out existent pendant de nombreuses années et s’installent vraisemblablement dès les études de médecine. On augmente notre seuil de tolérance d’années en années, sur ce qu’on est capable de supporter. Lorsqu’on arrive en deuxième année d’internat, on est persuadé que cela va être plus simple, qu’on est enfin médecin, qu’on n’a plus de cours… Mais ce n’est pas vrai : les cours ne sont pas finis et il y a aussi la thèse qui peut représenter jusqu’à 90 heures de travail par semaine ! Il y a aussi une différence majeure sur le rôle qu’on a avant et après, car on passe vraiment d’une position d’étudiant(e) à professionnel(le) de santé. La pression n’est pas la même, mais on se rend compte que ce n’est pas mieux et qu’on est reparti pour au moins 4 à 6 ans, en plus des études. Or, personne ne peut tenir 10 ans dans les conditions qu’on nous fait vivre. C’est impossible quand on sait, entre autres, que 9 internes sur 10 se font harceler sur le lieu de travail et qu’un quart déclare avoir des idées suicidaires…

Selon vous, est-ce que la situation s’aggrave ou est-ce qu’on en parle simplement davantage ?

C’est certain qu’on a levé le tabou sur le sujet, il y a un effet « tsunami » qui donne forcément l’impression, de l’extérieur, que les choses empirent. On n’en parlait pas jusque-là, et là, on en parle en continu… Ceci dit, la situation s’aggrave aussi réellement dans les faits. À l’échelle de l’ISNI, par exemple, le nombre de sollicitations quotidiennes a augmenté de façon exponentielle sur des sujets de démission, de réorientation ou de transfert de dossier à l’étranger.  Nous portons plainte aussi, de plus en plus, contre les harceleurs au travail et les agresseurs ; même si, pour le moment, aucune affaire n’est allée en audience, toutes ont donné lieu à l’ouverture d’une enquête, ce qui est déjà une victoire car plusieurs responsables ont été relevés de leur fonction de chef de service. Concernant la santé mentale des internes, les choses ne peuvent qu’empirer car la situation à l’hôpital continue de se dégrader. Les internes représentent une part de plus en plus importante du nombre de médecins actifs dans les hôpitaux, mais il y a toujours moins de moyens sur le plan administratif ou médical. On est dans un contexte où la population augmente et vieillit : alors que Ia charge de travail est plus importante, l’aide et le financement le sont toujours moins. 

Pensez-vous que les nouvelles générations vont pouvoir faire évoluer le système ?

Il y en a qui luttent contre ce système et ses dérives. Mais on assiste également à un « biais du survivant » à l’hôpital. Pour les gens qui se sont battus pour avoir leur poste, pour devenir chef de service ou universitaire, il faut vraiment le vouloir et accepter de subir des conditions dégradantes, parfois humiliantes, souvent pendant plus de dix ans. Il y a quelques rares exceptions qui vont lutter contre ça, parfois au péril de leur propre vie, car on assiste également à des cas de suicides chez les universitaires… Chez les nouvelles générations, c’est certain qu’il y a une volonté de ne plus donner sa vie au travail. Ce n’est plus compatible avec la société, la vie familiale et sociale à laquelle tout le monde aspire. Et puis, qu’on se le dise, ce n’est pas agréable de travailler 90 heures à l’hôpital ! Il n’y a plus de personnel, les locaux sont souvent vétustes et les médecins sont censés se reposer dans des espaces parfois très dégradés… Ca devient une aberration, au même titre que les ruptures de médicaments ou de matériels !

Je suis un(e) interne et j’ai un souci, que dois-je faire ? 

On peut écrire directement à l’ISNI, qui dispose de plusieurs permanents et d’un juriste. Nous pouvons ainsi orienter les internes concernés vers les syndicats locaux, voire les aider pour construire des plaintes ou des dossiers selon que la situation relève du pénal, du code de la déontologie, ou autre. Dans une situation problématique, l’urgence va être de sortir l’interne de son terrain de stage et lui permettre de continuer sa formation ailleurs, dans l’optique de ne pas le laisser là où il se fait harceler. Ensuite, on s’organise avec le syndicat local pour récupérer le témoignage, car il connaît mieux les personnes et l’écosystème dans lequel les choses se passent et évoluent. L’ISNI intervient lorsque les syndicats ne sont pas en capacité de faire cela — car ce n’est pas toujours évident de recevoir et traiter le témoignage de dizaines d’internes en difficulté. Il y a ensuite le signalement à faire et la construction du dossier, à partir des entretiens avec les internes concernés et parfois avec l’intervention de notre avocate pénaliste lorsque les faits l’exigent.

À l’échelle des syndicats locaux, il y a des structures d’aide pour les internes en situation de détresse psychologique, qui vont pouvoir les conseiller ou les réorienter vers des professionnels. Dans chaque syndicat du réseau, on a des lignes dédiées avec des contacts qui sont complètement indépendants et tous les échanges se font dans un environnement strictement confidentiel. S’il y avait la moindre fuite, la structure de soutien serait attaquable sur le plan pénal et au regard du secret médical. Lorsque des drames surviennent, c’est-à-dire des suicides, l’ISNI a pris le parti de faire systématiquement un signalement au procureur, afin que cela entraîne l’ouverture d’une enquête.

Rendez-vous, dès la 1ère quinzaine d’octobre, sur coupdeblouse.org, la première plateforme sur la souffrance au travail dédiée aux internes, praticiens et pharmaciens hospitaliers, créée par l’APPA.

Redécouvrez l’interview du Dr Ghada HATEM-GANTZER, fondatrice de la Maison des Femmes


A l’été 2016, le Dr. Ghada HATEM-GANTZER, gynécologue au Centre Hospitalier Delafontaine, à Saint-Denis, supervisait l’ouverture de la première Maison des Femmes : un modèle de lieu innovant et pluridisciplinaire, dédié à la santé des femmes, qui a été dupliqué depuis dans plusieurs hôpitaux sur l’ensemble du territoire…


La Maison permet d’accueillir les femmes, d’évaluer leur santé physique et psychique, de produire des certificats médicaux, d’offrir des services ou des conseils sur le plan administratif et judiciaire.

Quelle est l’origine de la Maison des femmes ?

En 2011, j’ai pris la direction médicale de la maternité de Saint-Denis, ce qui constituait un nouveau défi dans un établissement en transition, où il fallait tout repenser, sur un territoire avec une forte précarité. Il y avait une volonté forte de créer une autre image pour ne plus le réduire à « l’hôpital des pauvres », à travers des projets très concrets : ouverture d’un centre de FIV, création d’une unité de prise en charge du cancer du sein, refonte du service de planning familial, etc. C’est aussi à cette époque que je me suis intéressée, plus en profondeur, à la médecine de la violence qui est malheureusement un sujet inévitable dès que l’on s’occupe des femmes. J’ai un peu mixé toutes ces thématiques en décidant de les réunir dans un même lieu.

Comment l’avez-vous construite ?

Nous avons cherché des financements privés. La Fondation Kering a été la première à nous soutenir, suivie par de nombreuses autres entreprises, grâce à une forte médiatisation autour du projet. Nous avons pu construire notre première maison comme on l’imaginait, sur le fond et sur la forme  : un lieu chaleureux, pluridisciplinaire, ouvert sur l’hôpital et physiquement indépendant pour garantir un accueil à la fois direct et discret. Tout le monde s’est beaucoup investi dans la réalisation. Je pense notamment au cabinet d’architecte (JAHEL) qui a produit de nombreuses propositions très créatives ; nous avons finalement privilégié une forme de grande maison, contemporaine, fonctionnelle et colorée.

Que proposez-vous à l’intérieur ?

C’est un lieu de soins innovant, conçu autour d’une logique transversale pour la prise en charge des femmes. Nous avons trois unités  : le planning familial ; l’excision avec un pôle d’expertise renforcé qui va du suivi psychologique à la chirurgie du clitoris au sein de l’hôpital ; les violences faites aux femmes, sexuelles et/ou intra-familiales.

Concrètement, la Maison permet d’accueillir les femmes, d’évaluer leur santé physique et psychique, de produire des certificats médicaux, d’offrir des services ou des conseils sur le plan administratif et judiciaire. Une fois par semaine, par exemple, un policier est présent, détaché des commissariats de Saint-Denis, pour recueillir les plaintes sur place. Par ailleurs, nous proposons un ensemble d’activités et d’animations pour accompagner la prise en charge dans toutes ses dimensions  : groupes de parole, art-thérapie, ateliers sur l’estime de soi, potager collectif, activités – psychocorporelles (kiné, psychomotricité, danse orientale, karaté, etc.)

Comment tout cela est-il financé  ?

Pour faire simple, l’association a une convention avec l’hôpital : elle lève des fonds et lui salarie le personnel médical (45 professionnels à temps plein ou temps partiel). Les activités sont animées par une quinzaine de bénévoles que nous pouvons accompagner dans la recherche de subventions. Les avocats sont aussi bénévoles pour l’accueil et le conseil des patients ; dans certains cas, ils peuvent solliciter une aide juridictionnelle, s’il y a lieu d’aller plus loin, afin de les représenter devant la justice.

Quel est le bilan et quels sont les projets ?

Tout n’a pas été simple, loin de là, mais les résultats sont très positifs. Les patientes sont au rendez-vous et, dès la première année, la Maison s’est révélée trop petite. Nous avons obtenu de nouveaux financements qui nous ont permis de l’agrandir, tout en renforçant l’équipe de soignants. La médiatisation a entraîné de nombreuses sollicitations de France et de l’étranger pour pouvoir dupliquer le concept. Ici comme ailleurs, il faut continuer à construire et pérenniser au quotidien, comme un gros Lego auquel on ajoute des briques dès que nous avons de nouvelles idées ou que l’on nous propose des choses sympas…

Pour en savoir plus sur l’association La maison des Femmes : cliquez ici

 Association « Colore mon hôpital » Rencontre avec 3 « Drôles de dames »


À l’hôpital de La Rochelle, Dr. Delphine Danais, médecin-anesthésiste, Delphine Arquis, cadre de santé au sein du service de pédiatrie et Valérie Panier, sage-femme coordinatrice du Pôle Femme Enfants, forment un trio de choc au service de l’association « Colore Mon Hôpital », soutenue par l’APPA.


Celle-ci a pour ambition d’améliorer le quotidien des jeunes patients hospitalisés grâce à des animations ludiques et colorées, basées notamment sur la réalité augmentée. Nous les avons rencontrées pour leur poser un trio de questions…

Quelles sont les principales missions de « Colore mon hôpital » ?

[Delphine Danais] L’association a été fondée à l’été 2017 pour améliorer la prise en charge des jeunes patients au bloc opératoire. Nous avons créé une tablette en réalité augmentée avec deux personnages principaux, Crapoto et Peluchon, qui accompagnent les enfants pour se rendre au bloc opératoire sans stress et sans prémédication. Ils deviennent ainsi acteurs de l’anesthésie grâce à la possibilité d’échanger avec les personnages, ce qui leur permet de comprendre ce qui va arriver…

[Valérie Panier] Nous avons choisi la réalité augmentée pour créer un univers rassurant. Elle a en effet l’avantage de ne pas isoler l’enfant, contrairement à la réalité virtuelle avec le casque. La tablette permet d’articuler l’accompagnement des petits personnages et le soutien du personnel soignant, sans toutefois remplacer les médecins.

[Delphine Danais] Il est prouvé scientifiquement que le fait de ne pas pré-médiquer un enfant entraîne moins de consommation d’antalgiques, notamment morphiniques, en salle de réveil. L’enfant se réveille plus vite et on évite ainsi les risques d’effets secondaires des médicaments (nausée, vomissement, détresse respiratoire, retard de la reprise du transit, etc).

[Delphine Danais] À la sortie de l’opération, nous offrons à chaque enfant une peluche qui correspond à l’emblème de la Charente Maritime, un âne en culotte rouge ou bleue. Cette dimension locale est importante à l’image des engagements de l’association en faveur du développement durable et de l’économie circulaire. Depuis 2017, par exemple, nous avons mis au point une filière pour recycler le matériel jetable du bloc, comme les lames de laryngoscope ou les câbles de bistouris électriques, en collaboration avec une entreprise locale spécialisée dans le réemploi du métal.

« Il est prouvé scientifiquement que le fait de ne pas pré-médiquer un enfant
entraîne moins de consommation d’antalgiques, notamment morphiniques, en salle de réveil. »

Delphine Danais

« Colore mon hôpital » semble en effet très attachée à son empreinte locale…

[Valérie Panier] Oui cela est très important dans notre projet, à tous les niveaux. Pour créer le dispositif, nous avons contacté un auteur de la région, Luc Turian, qui nous a « prêté » ses personnages, Crapoto et Peluchon ; ils sont issus d’une série de livres pour enfants qui voyagent dans la région au gré de leurs aventures. Pour le développement du logiciel de réalité augmentée, nous avons collaboré avec une société informatique rochelaise, Serious Frames. Et c’est un éleveur du Poitou qui nous vend les peluches offertes aux enfants en salle de réveil… 

« Le but de l’association est d’essayer d’améliorer le confort de l’hospitalisation, pour tous, à travers une approche un peu globale du soin et une dimension très locale, basée sur le terrain. »

Delphine Arquis

Quels sont les autres projets développés par l’association ?

[Delphine Danais] La mission première de l’association concerne les publics jeunes mais, au fil des années, nous avons élargi progressivement ses champs d’intervention vers de nouvelles activités et en direction des adultes, en particulier auprès des personnes âgées. « Colore mon hôpital » intervient ainsi aujourd’hui sur des projets variés qui ont toujours pour vocation de « soulager » le passage au bloc. Par exemple, nous avons installé des enceintes qui diffusent de la musique apaisante et sont plébiscitées par les patients avant d’entrer dans la salle d’opération.

[Delphine Arquis] Nous intervenons également dans d’autres espaces de l’hôpital. L’association a par exemple participé à la décoration du service de pédopsychiatrie, en collaboration avec un artiste qui est venu peindre sur les murs. D’autres services ont également été décorés à travers différents procédés, comme l’utilisation de grands stickers : ce fut le cas en pédiatrie et c’est en cours pour le service de radiologie. Pour les personnes âgées, nous avons souscrit un abonnement au quotidien régional et fait l’acquisition de livres en gros caractères… Nous travaillons également sur un autre projet avec la tablette en réalité augmentée, qui cible d’abord les enfants mais que l’on espère aussi intéressant et déclinable, à terme, pour les adultes et les personnes âgées : l’idée est d’utiliser la technologie pour permettre de s’évader, par exemple en projetant des images de nature ou en faisant apparaître des papillons sur le bras…  L’enjeu est toujours le même : détendre l’utilisateur et détourner son attention des réflexes de peur.

[Delphine Danais] Nous aimerions également acquérir un casque en réalité virtuelle, plutôt pour les adolescent(e)s et les adultes en attente d’interventions d’anesthésie loco-régionale, afin de leur faire passer le temps et de les rendre plus zen…

[Delphine Arquis] De façon générale, le but de l’association est d’essayer d’améliorer le confort de l’hospitalisation, pour tous, à travers une approche un peu globale du soin et une dimension très locale, basée sur le terrain. Quand on a des patients apaisés, c’est une vraie source de confort pour les soignants et donc un grand bénéfice pour tout le monde !

Pour aller plus loin, découvrez un autre interview, vidéo cette fois, de Colore mon hôpital en cliquant sur ce lien.

Interview de Marie Pezé psychanalyste et docteur en psychologie


Psychologue et psychanalyste renommée, Marie Pezé est aussi une militante farouche contre la souffrance au travail, dont elle dresse un constat aussi implacable que les solutions médico-juridiques proposées par son association et son réseau de consultations dédiées…


Quel est votre parcours?

Je suis psychologue clinicienne et psychanalyste de formation. J’ai exercé pendant 30 ans à l’hôpital de Nanterre où a été créée la chirurgie de la main. On y recevait des accidentés du travail et j’ai fait ma thèse sur l’approche psychosomatique de ces lésions. Au fil des années, nous avons organisé des consultations pluridisciplinaires avec le chirurgien et nous avons vu arriver des populations de plus en plus différentes. A l’époque, pour les médecins, les canaux carpiens des caissières ne pouvaient que relever de problèmes d’hormones, car on ignorait complètement ce qui se passait dans le monde du travail, tout comme les troubles musculo-squelettiques (TMS). J’avais commencé à travailler avec Dr. François Boureau, créateur de le première consultation anti-douleur à l’hôpital Saint-Antoine, sur les douleurs neuropathiques, car on commençait à recevoir des patients qui présentaient ces symptômes. Mais il n’y avait pas d’IRM, donc on ne pouvait pas voir les lésions nerveuses, ce qui incitaient les médecins à penser que c’était psy…. Autrement dit : « Marie, tu t’en occupes » ! Les patients me parlaient de leurs douleurs comme des décharges électriques ou des coups de poignards. Ils me racontaient tous la même chose, donc je me suis dit que ça ne pouvait pas être seulement dans la tête… Avec le Dr. François Boureau, nous nous sommes ainsi lancés dans des études cliniques concernant les douleurs des membres supérieurs, traitées par antiépileptiques, puis les TMS. C’est à partir de ces résultats qu’on a compris que ces pathologies étaient le produit d’une intensification du travail avec des cadences irréalistes pour la physiologie humaine. Nous étions initialement face à des métiers très féminisés (caissières, femmes de ménage), ce qui nous a permis de réfléchir, en parallèle, sur la question de la division sexuelle du travail. Puis les cadres de La Défense sont arrivés, à partir des années quatre-vingt-dix, reflétant l’évolution des modes de travail (augmentation des objectifs, séparation des collectifs, éloignement des services ressources, etc) et leurs conséquences immédiates sur les risques de souffrance. Tout cela était parfaitement décrit dans un guide écrit par un psycho-physiologiste américain, Dr. Peter Kruse, qui faisait du counseling en entreprise. Avec l’accord de ma direction, à l’hôpital, j’ai commencé à collaborer avec le Pr. Christophe Desjours, qui travaillait à l’Institut psychosomatique, puis j’ai ouvert la première consultation « Souffrance et Travail » en 1995. En 1998, suite à la parution du livre de Dr. Marie-France Hirigoyen sur le harcèlement moral, on a vu arriver ce sujet dans les consultations. Au-delà de leur cas personnel, je m’apercevais que les patients ne faisaient rien non plus pour dénoncer les situations analogues affectant leurs collègues ; c’était encore le règne du » benchmark », de la mise en concurrence entre les salariés, de la destruction de la solidarité, du collectif de travail et, en définitive, d’une très grande solitude pour chacun. Nous étions vraiment face à une pathologie de la solitude.… Ensuite, en 2002, la loi sur l’obligation de protection de la santé physique et mentale des salariés a été renforcée.  Nous nous sommes revus avec Christophe [Desjours] pour créer un certificat, en 2008, afin de former des professionnels du sujet, car il faut des connaissances pointues notamment sur le plan juridique. » J’ai lancé en 2011 le site Souffrance et Travail, l’annuaire des consultations, la base de ressources avec l’association DCTH (Diffusion des Connaissances sur le Travail Humain). Aujourd’hui, on référence plus de 200 consultations en France, en Europe et même au Japon. Elles sont labellisées à partir de critères de formation, qui nécessitent à minima un diplôme d’État (clinicien, psychiatre, psychologue) et l’obtention du module de mise à jour médico-juridique. Il faut ces deux certifications pour entrer dans le réseau.

Vous évoquez l’étranger… On constate les mêmes problématiques ?

Tout à fait. Les tableaux cliniques sont identiques partout, quels que soient les pays, des États-Unis à la Suède, car le travail dans la santé est globalement dégradé. Il faut se souvenir que le concept de burn-out a été inventé dans la communauté médicale : c’était d’abord un syndrome de soignant, même si les phénomènes d’épuisement professionnel existent aujourd’hui dans tous les métiers. En France, la logique de la tarification à l’activité (T2A) n’est pas différente de ce qu’on voit partout ailleurs avec la financiarisation du soin et la « grammaire chiffrée » qui déshumanise le travail et surcharge les professionnels de procédures, de reportings, de tableaux Excel à remplir, etc.

Il y a davantage de souffrance ou on en parle davantage ?

Tous les 6 ans, en France, il y a une grande étude épidémiologique, intitulée SUMER, qui est tellement référente et prédictive sur le plan statistique qu’elle est primée à chaque édition. La dernière enquête a été publiée en 2019. On sait que 37% des travailleurs français seraient en souffrance au travail et que la fonction publique hospitalière est 4 fois plus exposée aux risques que les autres secteurs. Près de la moitié des salariés français (47 %) déclare souffrir de conflits « éthiques », liés à la mauvaise qualité du travail qu’ils ont le sentiment de produire et qui a des conséquences négatives sur leur santé mentale et physique. Il y a beaucoup d’autres données extrêmement précises que vous pouvez trouver sur le site de la DARES ou auprès des inspecteurs du travail de l’association. Tous convergent vers une même réalité : depuis 20 ans, tout s’aggrave… On en parle davantage certes, mais cela n’empêche pas de pérenniser les mêmes systèmes organisationnels qui sont les principaux facteurs de déshumanisation du travail

Il y a quand même des tentatives de solutions, non ?

En réalité, on a beaucoup lâché sur la santé pour aller sur « Qualité de Vie au Travail (QVT) », un pur concept américain, hérité d’un pays qui ne connaît même pas la médecine du travail ! Donc, oui, on va mettre des babyfoots dans des salles amiantées, mais ce n’est pas cela la protection de la santé au travail ! Au salon Préventica, où l’association a un stand, on voit plein de fauteuils relaxants, de lunettes de réalité virtuelle ou de concepts d’escape game pour apprendre à marcher sur un toit, quand on est couvreur, grâce à des carreaux qui s’allument… Mais ce n’est pas cela non plus, la sécurité au travail ! Il n’y a plus de référentiel de base qui protège les salariés sur ces sujets. Une étude récente vient de montrer qu’on est dernier en Europe pour les conditions de travail, avec des chiffres calamiteux, comme si le chef d’entreprise français n’en avait rien à faire de la prévention primaire ! On a un très bon système de prévention tertiaire, on sait soigner les gens, mais on ne sait pas empêcher le risque d’advenir… Et d’ailleurs, on a un taux record d’accidents du travail, des conditions de travail dégradées et de très mauvais résultats en matière de burn-out, en particulier chez les femmes. En France, on met beaucoup en avant le taux de présentéisme, par rapport à d’autres pays, mais qu’est-ce que cela veut dire en réalité ? Montrer qu’on est « corporate » alors que celui qui reste tard, dans d’autres pays, est perçu comme mauvais ! En Suède, certains chefs d’entreprise font passer l’échelle Karolinska du stress à leurs salariés et, quand les résultats sont mauvais, ils sont automatiquement pris en charge. Chez nous, on parle de « safespace », en utilisant toujours des intitulés anglo-saxons, alors qu’on a la meilleure école d’ergonomie au monde, des cliniciens très réputés et le 4ème taux de productivité du travail à l’échelle internationale ! Le débat actuel sur les retraites est en réalité celui sur les mauvaises conditions de travail. J’ai fait toutes les commissions parlementaires depuis 25 ans, le sujet revient à chaque fois mais il s’efface aussi vite… Je suis un peu fataliste car, même s’il y a quelques raisons d’espérer, j’ai la conviction que les organisations du travail ont gagné la bataille. La procédurisation numérique a accéléré la victoire avec des outils qu’on a nous-mêmes fabriqués et qui nous kidnappent aujourd’hui…

Quelles sont ces raisons d’espérer ?

Le seul espoir, c’est qu’il y a des gens qui inventent des lieux de réparation, dans lesquels on a le temps de penser. Si vous redonnez le temps de penser, alors les gens développent des mécanismes de défense, ils font plus attention à leurs corps, ils vont mieux se protéger, ils vont faire appel plus fréquemment à la loi. Ce qui est vertueux, c’est de transformer les gens qui travaillent en citoyens avertis de leurs droits. A l’instar de ce qui avance sur le plan de l’environnement, je crois encore aux réflexes citoyens à l’échelle locale. Des ressources existent et elles sont sur les territoires…

De façon générale, la prise en charge des risques psycho-sociaux demande une ingénierie complète, médico-sociale, administrative, juridique et parfois judiciaire. C’est complexe, rébarbatif et très protocolaire, mais elle permet aussi de tirer les gens d’affaire, afin de les soigner tout en les sécurisant sur le plan financier. Nous sommes également dans une construction de l’ignorance qui concerne tous les travailleurs, notamment les praticiens hospitaliers. Je suis certaine, par exemple, que les médecins de la fonction publique ne savent pas qu’ils peuvent mobiliser, depuis l’année dernière, les tableaux de maladie professionnelle du privé. De même, ils ignorent sûrement que l’ordonnance de 2019 inverse la charge de la preuve, ce qui change beaucoup de choses : c’est désormais à l’administration de prouver que tel ou tel problème n’est pas un accident de service, et non plus à la personne qui en est victime de démontrer que c’en est un. Je ne peux pas nier qu’il y ait eu des améliorations sur le sujet, mais elles ne redescendent pas toujours, ce qui enlève aussi beaucoup de possibilités de réaction…

Vous proposez aussi des outils, notamment sur votre site Internet…

Oui et c’est l’objectif fondateur de l’association : diffuser des connaissances sur le travail humain. On met en ligne, en temps réel, des jurisprudences, des ressources et des outils, comme des modèles de courriers pour s’adresser à sa direction ou contester par exemple un refus de la caisse des accidents du travail. Le site propose également un test de propagation du burn-out avec différentes déclinaisons par métiers, notamment pour les soignants. On y trouve aussi des guides pratiques, des webinaires avec Préventica, des contacts utiles pour accéder aux consultations ou aux dispositifs de médiation. Le site est vraiment le reflet de notre approche médico-juridique, afin que les visiteurs puissent connaître les moyens de prise de charge mais aussi se défendre. Il est à l’image de notre groupe de travail pluridisciplinaire (juristes, inspecteurs, psychologues, psychiatres, etc.) que je réunis tous les mois et demi. On discute des ressources, des actions à mettre en œuvre et, lorsque nous sommes sollicités pour un problème concret de santé, on créé un réseau de soin autour de la personne concernée. L’association peut l’orienter vers un bilan neuro-psychologique ou une consultation juridique, pas forcément pour porter plainte mais pour qu’elle soit déjà informé sur ses droits. On se renseigne également sur la prévoyance si elle n’est pas arrêtée, en privilégiant si possible le Congé pour invalidité temporaire imputable au service (CITIS) à l’hôpital, car il n’y a pas de durée limite contrairement à l’arrêt longue durée. Même si, derrière, le diagnostic va être une dépression ou un épisode de burn-out, il faut parfois utiliser les ruses des médecins conseils pour faire arrêter les personnes dès les premières crises de larmes, de nerfs ou d’hypertension… Nous travaillons également avec des établissements de santé dans lesquels l’association propose des conférences, des formations et même un serious game sur le harcèlement moral élaboré avec une start-up, Work and Play. Nous proposons ce type d’outils aux directions, tout en accompagnant en parallèle les PH qui se font « massacrer » et vont parfois très très mal…

www.souffrance-et-travail.com

Interview de Lisa Sanchis auteure de la bande dessinée « La Route Du Bloc »


Dans sa première BD, La route du bloc – une vocation à l’épreuve du réel, Lisa Sanchis rend hommage à la vocation de son conjoint, chirurgien pédiatrique, tout en racontant les ressorts de son burn-out et de la souffrance à l’hôpital.


Lisa Sanchis, La route du bloc – une vocation à l’épreuve du réel, Éditions Delcourt, 2022

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

J’ai fait une école d’arts appliqués en graphisme et en direction artistique. Par la suite, j’ai travaillé essentiellement dans l’édition sur des projets de livres d’éveil destinés aux enfants puis, en tant que graphiste, chez un éditeur BD. Je me suis toujours intéressée à la bande dessinée, en gravitant autour, mais sans pour autant me lancer dans l’exercice. C’est au contact de mon conjoint chirurgien, en écoutant son histoire, que je me suis dit qu’il fallait la raconter et que la BD était le support pertinent étant donné que j’ai quelques compétences en dessin. 

Quel est le récit de La Route du Bloc, en quelques mots ?

La BD raconte le parcours d’un soignant, de sa vocation dès la petite enfance à devenir chirurgien jusqu’à l’exercice de son métier et son épisode de burn out. La narration représente toutes les étapes qu’il a connu pour réaliser son rêve mais aussi, en toile de fond, la situation de l’hôpital public. Je ne voulais pas seulement raconter la vie de mon conjoint, mais plutôt créer un personnage auquel tout le monde puisse s’identifier. Que la lectrice ou le lecteur, médecin ou non, puisse ainsi se mettre à la place d’un chirurgien pédiatrique, saisir ce rêve d’enfance, comprendre les satisfactions du quotidien comme les difficultés.

« La narration représente toutes les étapes que mon mari chirurgien a connu pour réaliser son rêve mais aussi, en toile de fond, la situation de l’hôpital public. »

Au-delà de l’idée, y a-t-il eu moment déclencheur qui vous a incité à vous lancer ?

Oui, le livre débute justement par cet événement déclencheur, lorsque mon conjoint en situation d’épuisement professionnel, s’était effondré au milieu d’un restaurant lors d’un voyage en Islande.  Je m’étais instantanément dit que cette situation n’était pas normale et qu’il fallait la raconter. Le projet en lui-même a pris à peu près 4 ans entre l’idée initiale et la parution du livre. Durant la première année, je l’ai interrogé pour qu’il me raconte son histoire en détail, en prenant des notes ou en l’enregistrant. Puis j’ai pris le temps de tout retranscrire, découper ses histoires, construire un récit pour en faire une BD.

© Éditions Delcourt, 2022 — Sanchis

Quel message avez-vous voulu faire passer en racontant le parcours de Benjamin, votre personnage principal ?

L’idée de base était vraiment de rendre hommage au personnel qui fait vivre l’hôpital public. Mon personnage principal est directement inspiré de mon conjoint, mais j’avais aussi envie de parler de l’ensemble du corps médical. Ce sont des personnes qui ont pour vocation d’aller vers les autres et qui le font, au final, dans des conditions très difficiles, qui peuvent même briser des vies, comme on peut le voir avec les nombreux suicides parmi des internes ou d’autres problématiques du genre. La santé mentale des soignants est un sujet qui me préoccupe. Cela étant, je ne voulais pas faire quelque chose de « plaintif », car j’avais aussi en tête de révéler, en images et dans le texte, la beauté du métier et de ces engagements. C’est ce que j’ai essayé de faire en racontant par exemple les opérations, de façon très détaillée, car l’activité au bloc est aussi très passionnante et stimulante intellectuellement.

Pourquoi être remontée aussi loin dans l’histoire de Benjamin pour expliquer les ressorts de son burn-out ?

Quand j’ai rencontré mon conjoint et qu’il m’a raconté qu’il voulait être chirurgien depuis l’âge de 3 ans, j’ai trouvé cela fascinant et pas banal. En burn-out à l’âge de 30 ans, j’ai réalisé, sans doute avec colère, ce que cette vocation précoce lui avait coûté.  Les études de médecine, l’apprentissage et l’exercice de la chirurgie impliquent de faire beaucoup de sacrifices, parfois jusqu’à sa propre santé. C’était vraiment important pour moi de partir de son enfance, raconter la naissance de cette vocation, combien elle lui était chevillée au corps, pour mettre ensuite en lumière toutes les problématiques auxquels il a été confronté.

En quoi le format BD peut-il être pertinent pour raconter l’hôpital et ses difficultés actuelles ?

Comme je vous l’expliquais, je viens de l’édition jeunesse et j’ai assez logiquement vu l’intérêt de l’illustration pour décrire les décors, les interactions et les schémas des opérations. La bande dessinée, qui est accessible à tous les publics, est un bon support pour exprimer des contenus parfois complexes ou un peu abstraits, comme ce qui a trait à la santé mentale. Je me suis toujours dit que le premier lecteur, c’était moi, or je ne viens pas du tout du milieu médical ! Quand j’interroge mon conjoint et que je retranscris, en récit, ce qu’il m’explique, il faut que ce soit limpide pour tous. Que tout le monde comprenne comme moi je le comprends. La BD est intéressante de ce point de vue car elle permet d’être à la fois didactique et dans l’émotion.

Interview de Pierre-François Godet – Trésorier du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux


« Il faut remettre l’équité, la solidarité et les valeurs
du service public au cœur du management à l’hôpital »

À l’origine, l’APPA est une émanation du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH) avec lequel elle continue d’entretenir une relation de partenariat privilégiée. Rencontre avec le Dr. Pierre-François Godet, psychiatre à l’hôpital du Vinatier (Bron, 69) et trésorier du syndicat, qui cumule plus de 30 ans d’engagement et une langue hors de la poche, surtout lorsqu’il s’agit de défendre le service public de la discipline…

Qu’est-ce que le SPH ?

C’est le principal syndicat représentant les psychiatres de service public. Il a été fondé en 1945, la même année que la revue scientifique, L’information psychiatrique. Il regroupe aujourd’hui environ 20 % des psychiatres hospitaliers ou assimilés, ce qui a beaucoup changé depuis plusieurs décennies. Pendant longtemps, les psychiatres hospitaliers étaient nommés par une commission paritaire, composée notamment de praticiens élus, à travers les syndicats. La plupart des psychiatres étaient alors syndiqués car il était préférable d’être soutenu pour obtenir un poste. Puis le système de nomination a changé, désormais sous la responsabilité du Ministère de la Santé. Cela a eu un impact évident sur les adhésions mais aussi sur la mission des différents syndicats, comme le nôtre, désormais essentiellement axée sur la défense des intérêts catégoriels et de la discipline dans son ensemble.

Quelles sont ces missions justement ?

De façon générale, en tant que syndicat, on défend la profession et notre mode d’exercice, dans un contexte globalement très hostile puisque la médecine publique est de plus en plus délaissée. C’est particulièrement vrai pour la psychiatrie, qui reste une discipline « humaine », par définition onéreuse, avec laquelle la logique d’économies et de rationalisation n’est pas compatible : pour vous donner une idée, 85 % des charges d’un hôpital psychiatrique viennent en moyenne des dépenses de personnel, contre 70 % dans un hôpital général ! On milite justement, vu le nombre de postes vacants, pour l’augmentation des salaires, car c’est le seul moyen de redevenir attractif. On ne va pas se mentir : les praticiens font partie des catégories privilégiées par rapport à la population générale, mais on ne peut pas non plus nier que nous évoluons dans une économie de marché, un système concurrentiel, où les collègues sont mieux payés et ont moins de pénibilité dans le privé, que ce soit en clinique ou en cabinet…

Quelles actions menez-vous auprès de vos adhérents ?

On intervient sur plusieurs champs. D’abord, un travail d’information en direction des collègues qui ne sont généralement pas très bien informés sur leurs statuts, et donc sur leurs droits. C’est le cas de la retraite, actuellement. Il faut produire et diffuser cette information, ce qui est très chronophage et occupe une bonne partie du temps alloué au syndicat. Ensuite, on a un rôle d’intervention ponctuelle lorsqu’on est sollicité pour défendre un adhérent, sur une problématique statutaire, ou l’exercice de la discipline, dans son ensemble, lorsqu’il s’agit par exemple de contester un texte par voie judiciaire. Enfin, on a une mission d’écoute et d’étude de la situation des psychiatres de service public, notamment à travers des sondages. On en a produit une, récemment, sur le sujet de l’isolement et de la contention. Et une autre, qui vient de se terminer, sur la pénibilité et l’attractivité de la profession.

Pouvez-vous nous en dire plus ?

Pas encore, car il y a maintenant un gros travail d’analyse, qui va sûrement prendre du temps, mais je peux vous parler de la démarche… On a lancé cette enquête en ligne, durant 1 mois, auprès de tous les psychiatres d’exercice public de notre base de contacts. L’objectif était de les interroger sur leur situation professionnelle, à travers des critères objectifs (sexe, âge, environnement, activité principale, nature de l’établissement, etc.) et d’autres sujets de l’ordre du ressenti. On leur a par exemple demandé d’exprimer leurs motifs de plaisir dans le travail ou leurs principales sources de reconnaissance. Au total, il y avait une cinquantaine de questions. On a reçu près de 1 200 réponses, ce qui est beaucoup et intéressant puisqu’une majeure partie vient de praticiens non-adhérents, permettant d’avoir une vision assez large au-delà du seul syndicat.

Est-ce que la psychiatrie est une spécialité particulièrement exposée aux risques psychosociaux ?

Oui et non. D’un côté, c’est une discipline qui reste très axée sur l’humain et la relation, donc je dirais que nous sommes encore un peu épargnés. Par contre, il y a aussi des risques, au sens propre, en particulier dans la psychiatrie de secteur avec les soins sans consentement. Comme on a des patients qui ne sont souvent pas conscients de leur maladie et qui évoluent, à l’image de la société, vers une forme d’intolérance croissante à la frustration, les psychiatres sont globalement plus exposés à leur vindicte ou à celles de leurs proches. C’est usant et c’est un facteur de risques particulier que l’on retrouve également dans d’autres spécialités, comme les urgentistes. C’est valable aussi pour le suivi. Quand quelqu’un a une rechute de son cancer, il en veut à son cancer ou à ses habitudes de vie, mais pas à son cancérologue. Mais quand quelqu’un présente une rechute sévère de sa psychose, il ne croit pas plus à son psychiatre qu’à sa psychose…

« Délivrer des messages de prévention des risques induits par les réseaux sociaux, c’est très bien, mais ça ne coûte rien à côté des moyens humains qu’il faut pour prendre en charge ceux qui ont échappé à la prévention ! »

Pierre-François Godet

Et quel est votre regard syndical, plus général, sur ces risques à l’hôpital ?

De façon plus générale, concernant la médecine publique, je pense que l’hôpital est vraiment malade dans son mode de management. Il y a vraiment des problématiques structurelles que l’on retrouve, dès les études de médecine, à travers une logique d’écrasement et de souffrance, comme si c’était la clé de la réussite au détriment de l’esprit d’équité, de solidarité, de… service public ! J’ai souvent coutume de dire qu’on a tendance à prendre le pire de la culture latine (la logique de gladiateur, combattre et souffrir) mais aussi le pire de la culture anglo-saxonne, avec une logique économique et néo-libérale complètement inadaptée au fonctionnement d’un service public hospitalier. Ça créé de la souffrance et de l’incompréhension. L’enjeu du management est fondamental, mais il faut y consacrer beaucoup de temps et être très lisible auprès des personnes concernées. En tant que chef de pôle, par exemple,  j’essaye de préserver de l’équité. Par exemple, dans le pôle, nous avons mis en place une « grille de pénibilité », connue de tous, liée aux matinées de permanence médicale les samedis dimanches et jours fériés.. Quand quelqu’un va travailler un dimanche de week-end prolongé, on va compter 3 points ; ce sera 1 point pour un samedi « ordinaire », etc. Chacun a accès à un tableur où il peut voir toutes ces informations et faire des simulations sur sa propre pénibilité. L’idée, c’est de réintroduire de l’équité, de la transparence, des outils de partage et d’échanges. Il faut s’en donner les moyens, car cela prend du temps. C’est toujours perfectible mais je préfère largement cette démarche à d’autres logiques, basées sur celui qui parle le plus fort ou celui qui est le plus ancien…

Le fait qu’on parle beaucoup de santé mentale a-t-il un impact sur la discipline ?

La santé mentale, c’est très à la mode. Mais ce n’est pas la psychiatrie et il y a une sorte de confusion entretenue à destination de l’opinion, qui ne contribue pas à s’attaquer, selon moi, aux vrais problèmes structurels. Prenez les réseaux sociaux, par exemple. C’est un vrai sujet de santé mentale, car ils peuvent être source de souffrance, diminuer le niveau cognitif, le lien social, etc. Cela concerne tout le monde, mais quand quelqu’un va révéler des troubles autistiques, des phénomènes de harcèlement ou décompenser des symptômes après en ligne, on entre cette fois dans le registre de la psychiatrie. Délivrer des messages de prévention des risques induits par les réseaux sociaux, c’est très bien, mais ça ne coûte rien à côté des moyens humains qu’il faut pour prendre en charge ceux qui ont échappé à la prévention !

Le souci avec cette confusion, c’est qu’une problématique liée à l’exercice de la psychiatrie va être abordée sous l’angle de la santé mentale, pour donner à croire que le sujet est traité, alors que les besoins, les moyens nécessaires et les situations sont complètement différents. Il y a beaucoup d’acteurs qui font des choses très bien pour la visibilité et l’accompagnement de la santé mentale. Quand une personnalité politique va visiter ou soutenir une démarche en la matière, plutôt qu’une unité psychiatrique, c’est très positif, mais il ne faut pas croire ni laisser croire que cela va résoudre nos problèmes de fond et nos manques de moyens.  Annoncer au JT de 20 heures 200 000 euros de subvention pour une association ou une campagne de prévention, ça impressionne, ça rassure, mais ça suffit à peine à payer le salaire et les charges d’un(e) psychiatre, d’un(e) psychologue et d’un(e) infirmier(ère) pour une année. 12 millions de nos concitoyens souffrent d’un trouble mental, dont plus de 2 millions d’une forme sévère (trouble bipolaire, schizophrénie, dépression résistante).

Portraits du Dr Sylvie Epelboin figure de la gynécologie-obstétrique


Coordinatrice du Centre d’Assistance Médicale à la Procréation au sein de l’Hôpital Bichat Claude-Bernard, à Paris, Dr Sylvie Epelboin est une figure de la gynécologie-obstétrique. Dans le cadre du magazine de l’APPA, nous avions eu la chance de retracer, avec elle, son parcours, qui est aussi une leçon de vie et un modèle de carrière hospitalière…


Dans la famille de la médecine de la reproduction et de la fertilité, Sylvie Epelboin a dessiné sa carrière comme une sorte de carte-profil qui pourrait se résumer avec un seul adjectif : passionnée. « C’est une discipline à la croisée de la pratique et de la vie, dont les leviers relèvent autant du conte  pour enfants (« ils vécurent heureux et eurent de nombreux enfants ») que d’une citation de Paul Eluard : le dur désir de durer. Elle mobilise à la fois la psychologie – en rentrant dans l’intimité des patient.e.s, le raisonnement intellectuel, les avancées et les perspectives scientifiques, la micro-chirurgie et la pratique obstétricale… »

Dr Sylvie Epelboin

Après ses études de médecine et son internat à Paris, Sylvie Epelboin devient gynécologue-obstétricienne et exerce, pendant plus de vingt-cinq ans, à l’hôpital Saint-Vincent de Paul. Elle y co-impulse rapidement l’ouverture d’un centre de Fécondation In Vitro (FIV) peu de temps après la naissance du premier « bébé FIV » français et participe, dans la décennie suivante, au développement des techniques de procréation assistée. En parallèle de sa carrière, la praticienne partage également la passion du voyage avec son mari, également médecin. Ses nombreux séjours en Afrique de l’Ouest, en particulier, lui permettent d’appréhender l’importance des traditions culturelles dans la fertilité et la mise au monde. « Cela a vraiment fait partie de mon parcours de formation et de la manière dont je reçois aujourd’hui les patient.e.s. Par exemple, pour combattre et expliquer l’excision, il m’a été utile de voir les célébrations pratiquées au Sénégal, auprès des femmes peules : de véritables cérémonies festives qui représentent aussi le passage à la vie adulte. On est vraiment à la croisée de la médecine et de l’anthropologie… » D’ailleurs, son mari, devenu chercheur pour le CNRS, en a fait son métier.

En plus de ses activités hospitalières et de ses expériences à l’étranger, Sylvie Epelboin se forme également à l’éthique médiale à travers un DEA, obtenu en 1990, dans un contexte où ces questions, complexes, arrivent sur le devant de la scène. « Nous sommes dans les années quatre-vingt-dix. Robert Badinter suscite en 1984 un premier colloque sur le droit et la génétique, appliquée à la procréation, qui a constitué une sorte de préfiguration vers la première loi de bioéthique (1994), en soulevant des allers-retours permanents, entre la médecine et l’éthique, sur la place de l’enfant ou la création de nouvelles formes de parenté. »

En 2010, avec la programmation de la fermeture de Saint-Vincent de Paul, la gynécologue rejoint l’hôpital Bichat-Claude Bernard, en tant que coordinatrice du Centre d’Assistance Médicale à la procréation (AMP). Elle retrouve une population qu’elle connaît bien avec de nombreuses patientes d’origine africaine qui la ramène à ses souvenirs et à l’enjeu du dialogue, du « terrain de communication », au-delà des différences culturelles. « Nous sommes d’abord un des rares centres qui accueillent des personnes à risque viral, ce qui implique une prise en charge médicale globale. De façon générale, il y a une dimension pédagogique très forte consistant en premier lieu à faire réaliser aux patient.e.s et aux soignants qu’on ne peut pas tout connaître de leur culture, mais qu’il faut apprendre à écouter ce que dit la personne en face… Notre rôle est de transmettre la vérité biologique ou l’explication médicale, quelles que soient les origines ou les croyances. » Le Centre est composé d’une dizaine de praticiens (biologistes, cliniciens, sage- femmes, internes, etc.) dont une partie a été réquisitionnée lors du « tsunami » engendré par la crise sanitaire. Le service s’est organisé afin de trouver des solutions pour les processus en cours et préparer la reprise avec des recommandations strictes sur les profils à risques et les publics prioritaires.

Le quotidien médical de Sylvie Epelboin ne ressemble pas à un conte pour enfants mais son itinéraire tient bel et bien de la belle histoire passionnée qu’elle évoque notamment dans un livre co-écrit, en 2019, avec la journaliste Elise Karlin qui a été sa patiente : J’ai longtemps cru qu’il suffisait d’être deux. « Je crois que j’appartiens à une génération très choyée qui a eu l’opportunité de faire mille choses pour se sentir utile », notamment trois enfants et une brillante carrière résolument imbriquée avec sa vie personnelle. 

Souffrance au travail et conflits à l’hôpital : où en sommes-nous ?


« Les conflits interpersonnels à l’hôpital sont une composante majeure de la souffrance au travail  »

Pharmacien hospitalier retraité, administrateur de l’APPA, le Dr. Jacques Trévidic s’est toujours engagé sur le sujet de la souffrance au travail et des conflits à l’hôpital.


En 2020, à la tête d’un groupe de travail dédié, il rédige un rapport sur la conciliation, pour le compte du Ministère de la Santé et de la Médiation Nationale. Ses propositions ont inspiré le nouveau cadre en vigueur autour de 3 objectifs-clés : structurer, signaler et former.

Depuis quand vous intéressez-vous au sujet des conflits à l’hôpital ?

C’est une longue histoire… En parallèle de mon activité de pharmacien hospitalier, en Bretagne, j’ai toujours eu diverses activités para-professionnelles, notamment syndicales, qui m’ont permis de m’intéresser, de près, aux conditions de travail et aux situations de souffrance des personnels hospitaliers. J’ai notamment participé à l’administration de l’OSAT (Observatoire de la Souffrance Au Travail) avec le Dr. Max-André Doppia, qui était une émanation du syndicat APH et permettait aux praticiens de déclarer leurs difficultés. Nous avons constaté, à travers l’Observatoire, l’importance des conflits interpersonnels dans la souffrance au travail…

Pourquoi le milieu hospitalier est-il particulièrement sujet aux conflits ?

L’hôpital est d’abord une grande société humaine et, comme dans tout collectif, il existe des risques de conflits. Plus spécifiquement, l’hôpital est un milieu assez violent dans lequel on est confronté à la souffrance humaine, dans toutes ses dimensions, ce qui rejaillit forcément sur le ressenti des soignants. Enfin, c’est un environnement très organisé, basé sur le travail en équipe, où la notion de « management humain » est fondamentale, mais complètement absente de la formation initiale. Par exemple, les étudiants en médecine vont devoir travailler en équipe, au moins à l’internat, mais on ne leur donne pas les bases pour cela ! Il y a un certain nombre de règles d’usage qu’il faut expliquer pour qu’elles soient intégrées, cela va du « bonjour » le matin au positionnement par rapport à la hiérarchie, pour savoir ce qu’on peut ou ce qu’on ne doit pas accepter…

Comment étaient réglés « traditionnellement » les conflits à l’hôpital ?

C’était assez anarchique, même s’il y avait des solutions auprès des syndicats ou des Commissions Médicales d’Établissements. Mais ce n’était pas systématisé, principalement par manque de temps ou de compétences nécessaires. D’après les enquêtes qui ont été faites, on a pu mesurer que la gestion des conflits, mineures ou majeures, peut prendre beaucoup de temps et que les gens ne sont pas suffisamment formés, de façon structurelle, pour repérer les situations problématiques, les signaler puis trouver des solutions pour les résoudre et assurer un suivi. Il a fallu des drames, très médiatisés, pour faire bouger les lignes, en particulier le suicide du Pr Jean-Louis Mégnien, à l’hôpital Georges-Pompidou, en 2015. D’autres ont malheureusement suivi, dans d’autres établissements, ce qui a fait que tous les acteurs (institutions, syndicats, conférences de directeurs, etc.) se sont mobilisés conjointement pour s’emparer du problème. 

En quoi a consisté votre « Mission Conciliation » ?

En 2019, le Gouvernement a mis en place, par décret, un dispositif de médiation, au niveau national et régional, pour aider à résoudre les conflits dans les établissements hospitaliers et médico-sociaux publics. Présidée initialement par Edouard Couty, cette démarche est intéressante, mais elle fait sortir le conflit de l’établissement concerné et elle est exercée, par définition, par des personnes complètement extérieures, ce qui n’est pas toujours évident lorsque le problème est justement lié à l’organisation interne (management, RH). Il manquait une sorte de « brique » pour la rendre réellement efficace, ce que prévoyait d’ailleurs le texte initial en stipulant que le recours à la médiation ne devait se faire qu’à l’issue d’une tentative de conciliation interne à l’établissement. La conciliation est ainsi une première étape nécessaire, mais elle n’était pas du tout structurée à l’échelle des hôpitaux. C’est l’objet de la mission que j’ai proposé au Ministère de la Santé, par l’intermédiaire de la Médiation Nationale, pour auditer l’existant et faire des propositions concrètes, à travers un groupe de travail collégial et la rédaction d’un rapport.

Comment cela s’est-t-il matérialisé ?

On a démarré en 2021, en pleine crise sanitaire. Sur le papier, ce n’était pas la période idéale mais, dans les faits, ça s’est très bien passé, peut-être parce que les réunions en visioconférence ont permis d’aller plus vite que l’organisation de rencontres physiques. Le groupe de travail était composé d’une douzaine de personnes, représentant les institutions et le milieu hospitalier. On se retrouvait chaque mardi, ce qui a permis de ritualiser les choses, dans cette période curieuse, et de donner une sorte de rythme. Nous avons mis en œuvre plusieurs outils pour identifier ce qui existait, sur le terrain, en matière de gestion des conflits : une enquête, envoyée à tous les hôpitaux, pour laquelle nous avons obtenu plus de 200 réponses et une série d’auditions plus approfondies auprès de 13 établissements sur l’ensemble du territoire. On a rapidement pu constater que les structures existantes, limitées à quelques CHU, ne concernaient pas les personnels non médicaux et que la plupart des établissements n’avaient pas encore d’outils adaptés.

Quels ont été les résultats de cette « Mission » ?

A l’issue des groupes de travail, j’ai rédigé un rapport qui contient 11 propositions concrètes à travers deux grands axes : un modèle d’organisation des démarches conciliation dans les hôpitaux, basé sur les Commissions Médicales d’Établissement (CME) et les Comités Sociaux d’Établissement (CSE) pour les personnels non-médicaux ; la formation des personnels, existants et futurs, à tous les niveaux. Les deux objectifs vont de pair, en réalité : il faut à la fois former les professionnels au management et structurer les organisations, en parallèle, pour pouvoir anticiper et répondre à toutes les situations. Même si on est un très bon manager, on peut parfois être débordé par une situation conflictuelle, ce qui nécessite parfois de se projeter dans un autre cadre que celui de l’équipe. J’ai ainsi proposé cette structuration, qui se matérialise par une sorte de commission dédiée intégrant des membres du personnel spécifiquement formés aux techniques de conciliation.

Parmi les propositions, certaines concernent également l’enjeu du signalement. Je pense qu’il faut mettre en place un dispositif de signalement sur le modèle de la déclaration des événements indésirables à l’hôpital. Il est déterminant qu’on puisse signaler les situations de souffrance et identifier celles qui peuvent faire l’objet d’un dispositif de conciliation au sein de l’établissement, car les causes sont souvent complexes et plurielles. La conciliation doit pouvoir aider à solutionner des conflits interpersonnels, mais pas des problèmes de santé mentale qui relèvent théoriquement de la médecine du travail ou des situations de harcèlement qui doivent être appréhendées par le canal judiciaire. Là aussi, il y a un enjeu de formation car il faut pouvoir flécher à travers des personnes qui ont un peu d’expérience sur ces sujets.

Comment cette démarche va-t-elle évoluer ?

Les propositions du rapport ont donné lieu à une circulaire et un nouveau groupe a été constitué pour la mise en œuvre de la démarche, sous la responsabilité de la Médiation Nationale et de sa présidente actuelle, Danielle Toupillier. Nous travaillons sur plusieurs sujets, en particulier sur une campagne de communication, auprès des établissements, pour les inciter à mettre en place les structures, les compétences et les formations nécessaires. Plusieurs actions concrètes sont également prévues, comme un atelier lors de la prochaine édition du Salon SantExpo de la Fédération Hospitalière de France. Il y a beaucoup à faire mais tout est relativement très nouveau : les choses vont mettre un peu de temps à se mettre en place, mais elles avancent ! Nous allons également faire des états des lieux réguliers, qui seront aussi renforcés par l’implication des médiateurs régionaux au sein des structures de conciliation à l’hôpital ; cela permettra notamment de faire des bilans annuels et locaux, ainsi que des plans d’actions adaptés aux besoins et aux situations de chacun.

L’APPA soutient « Le rire médecin » : (re)découvrez l’interview du Pr. Philippe Hubert


« On a été le premier service de réanimation en France à accueillir des clowns… »

(Interview réalisée dans le magazine des 40 ans de l’APPA, publiée en janvier 2021)


'APPA soutient "Le rire médecin" : (re)découvrez l'interview du Pr. Philippe Hubert

Ancien chef de service en réanimation pédiatrique à l’hôpital Necker – Enfants malades, Dr. Philippe Hubert, aujourd’hui retraité, préside l’association Le Rire médecin qui a fêté ses 30 ans en 2021. Il a traversé l’Atlantique en 14 jours sur le voilier « Lamotte / Module Création » skippé par Luke Berry. Itinéraire d’un médecin engagé…

Comment avez-vous découvert les clowns à l’hôpital ?

La réanimation, ça paraît assez loin des clowns mais, pendant ma carrière, j’ai eu la chance d’avoir un chef de service qui s’intéressait beaucoup à la dimension psychologique et relationnelle des soins, vécue par les enfants et par leur entourage. Pendant de nombreuses années, par exemple, un psychiatre pédiatrique est intervenu dans le service. De nombreuses choses ont été lancées à son initiative – et avec la demande soutenue d’une infirmière, afin de développer une approche médicale aussi large que possible, pas seulement technicienne mais aussi familiale. Là-dessus s’est greffée, à l’époque, une demande de Caroline Simonds, la fondatrice du Rire médecin, qui nous a proposé de faire intervenir les clowns. Ils étaient déjà présents en immuno-hématologie, un service ultra-spécialisé avec des enfants originaires de toute la France dont certains, hélas, atterrissaient en réanimation. Ils connaissaient donc bien les clowns, en raison de leur situation d’hospitalisation de longue durée, c’est pourquoi Caroline nous a proposé de prolonger les visites dans notre service. Je vous avoue, au départ, que j’avais quelques réserves car je connaissais mal leur travail et je ne voyais pas très bien comment cela pouvait fonctionner en réa. Nous avons finalement accepté et, très rapidement, tous les doutes ont été levés grâce à un fonctionnement efficace et des résultats très positifs ! On a été le premier service de réanimation en France à accueillir les clowns. Depuis, plein d’autres ont suivi…

Quels sont ces « résultats » ?

Pour les enfants malades, c’est un plus, indéniable, qui est lié à la régularité des visites (jusqu’à deux fois par semaine) et à l’importance du rire, des bulles d’évasion, dans les moments difficiles. Plus largement, les clowns forment aussi un outil de médiation avec les frères et sœurs, les parents, les équipes soignantes (infirmiers, médecins, etc.). D’ailleurs, comme souvent en réanimation, nous avons développé des relations humaines très fortes, parfois amicales, avec ces artistes professionnels, même au-delà du cadre de l’hôpital.

Pourquoi vous êtes-vous engagé dans l’association ?

Caroline Simonds m’avait sollicité, à plusieurs reprises, pour participer à des réunions, réfléchir à la formation des clowns, etc. Un jour, elle m’a contacté pour me proposer de prendre la succession d’un confrère, qui était également réanimateur pédiatrique mais ne pouvait plus assumer la présidence. J’ai un peu réfléchi et accepté la mission avec beaucoup de plaisir. Je suis donc arrivé dans l’association, en mars 2017, en tant que président, sans la connaître véritablement de l’intérieur. Les premiers mois ont été un peu compliqués car la situation n’était pas très favorable, mais nous avons beaucoup travaillé pour résoudre les difficultés. On a pu faire des recrutements et mettre l’accent sur la gestion administrative et financière. C’est fondamental quand on manipule des sommes d’argent importantes, issues de dons, et que l’on travaille avec des artistes.

Comment l’association a-t-elle fonctionné durant la crise sanitaire ?

2020 a été une année assez particulière, comme vous pouvez l’imaginer, car nous venions justement de finaliser notre plan stratégique pour développer l’association et intervenir sur de nouveaux territoires. Il y a beaucoup d’autres clowns intervenant dans les hôpitaux ; l’objectif n’est évidemment pas de s’additionner aux activités en place, mais de remplir les espaces vides. Pendant le confinement, les comédiens-clowns étaient éloignés des enfants pour des raisons sanitaires, mais on a réussi à organiser un relais vidéo, qui a finalement très bien fonctionné. Nous avons également profité de cette période pour préparer le 30e anniversaire de l’association, en 2021, afin de communiquer sur notre projet et nos actions, notamment en direction des médias.

Pour en savoir plus ou soutenir Le Rire Médecin :

L’association réunionnaise éclats de l’île – rencontre avec Pernette


L’association Éclats de l’île propose des interventions de « clowns hospitaliers » dans les services pédiatriques du CHU de l’île de La Réunion.


Les clowns sont tous des comédiens professionnels sélectionnés par l’association et bénéficiant de formations spécifiques pour intervenir à l’hôpital. Toujours en duo, ils cherchent par leurs interventions dans les services, à redonner aux jeunes patients leur place d’enfant en permettant l’accès au jeu et au rêve. Ils interviennent à raison de deux journées par semaine sur chaque site du CHU de La Réunion. Les clowns interviennent toujours en étroite collaboration avec le personnel soignant et adaptent leurs interventions aux réalités des patients et de leurs proches. Les clowns sont soumis au secret professionnel et peuvent ainsi bénéficier d’informations lors des transmissions pour être au plus juste de chaque situation. Ils peuvent également être sollicités pour accompagner les actes de soins potentiellement douloureux avec l’accord de l’enfant et de ses parents. Depuis sa création Éclats de l’île a pu visiter plus de 7 000 enfants hospitalisés. Afin de mieux cerner et comprendre leurs actions nous avons pu rencontrer l’un des clowns hospitaliers de l’association et nous lui laissons la parole.

Rencontre avec Pernette, Artiste, Clown Hospitalier à Éclats de l’île

Bonjour, alors tout d’abord comment voulez-vous que je vous appelle ? Zaza, Pernette ou bien Isabelle ?

Zaza c’est mon nom de comédienne, Pernette c’est mon nom de clown hospitalier et sinon je suis Isabelle dans la vraie vie. Disons que pour aujourd’hui c’est un peu les trois que vous rencontrez …

Comment vous êtes-vous retrouvé à faire le clown à l’hôpital ?

Au départ je suis d’abord Infirmière DE. J’ai fait cela car à l’époque, mes parents ne voulaient pas que je devienne comédienne. Du coup, dans les années 1990 j’ai suivi leurs conseils et suis devenu IDE. Selon mes parents, comédien ce n’était pas un métier pour en vivre, alors j’ai travaillé une petite dizaine d’année comme infirmière. Durant les années 2000, à la Réunion, j’ai rencontré la ligue d’improvisation réunionnaise et j’ai recommencé à reprendre goût au théâtre. Finalement, j’ai fini par abandonner la blouse car le théâtre était vraiment ma vocation. En 2012 l’association Éclats de l’île a organisé des auditions et j’ai été recrutée à ce moment-là. Depuis, je retourne à l’hôpital mais sans blouse et avec le sourire et le nez rouge.

C’est quoi une journée type d’un clown à l’hôpital ?

Une journée à l’hôpital, nous démarrons vers 9 h par un tour du service en civil. Nous faisons des transmissions succinctes avec l’équipe médicale. Ces transmissions nous renseignent surtout sur l’état de santé des enfants, sur son état du jour, sur les précautions particulières d’hygiène à respecter. Nous cherchons également à avoir des informations de contexte sur la famille puisque nous intervenons également auprès des accompagnants.

Ensuite nous nous habillons en clown et nous faisons ce que nous appelons la parade. Nous défilons, toujours en duo, dans le couloir du service, avant de rentrer dans toutes les chambres où nous sommes autorisés à intervenir. Dans la chambre nous nous adaptons à chaque situation, nous pouvons commencer par un petit tour de magie, une petite chanson ou encore raconter une petite histoire. Nous faisons souvent des cabrioles et des âneries pour faire rire les enfants.

Nous pouvons effectuer plusieurs services le matin. Le midi, en civil nous prenons notre pause déjeuner puis nous revenons l’après-midi dans d’autres services de pédiatrie. On refait la parade puis, de chambre en chambre et tranquillement, notre journée se termine vers 16 h.

Comment se passent vos interventions avec les soignants ? Comment êtes-vous accueillis par les médecins et les équipes ?

En général c’est super. Nous sommes très bien reçus. Les soignants nous attendent souvent. Ils sont ravis de nous voir car les jours où nous sommes là, le service est plus détendu. Ils savent qu’il va y avoir de la musique, qu’ils vont pouvoir se détendre un peu. Parfois ils dansent un peu avec nous dans les couloirs. Toutefois nous sommes très attentifs, nous veillons à ne pas déranger les actions de soin, on se cale pour ne pas déranger la visite par exemple. On s’adapte tout simplement.

Vous intervenez dans quels services ?

Nous n’intervenons que dans les services de pédiatrie du CHU. Dans les services des petits mais aussi des grands. En oncologie pédiatrique, en HDJ pédiatrique, les urgences pédiatriques, la chirurgie pédiatrique mais aussi la dialyse pédiatrique à Saint-Denis, à Saint-Pierre nous allons chez les grands, les petits, la réa pédiatrique, les urgences, le service de mucoviscidose, l’HDJ et la chirurgie pédiatrique, le SSR aussi, voilà je crois que je n’ai rien oublié. Nous n’intervenons que sur le CHU et avec des jours fixes pour chaque site. Nous sommes 10 clowns hospitaliers dans l’association et nous intervenons toujours en duo. Nous organisons nos plannings à l’avance pour que nos interventions soient programmées dans les services.

Avez-vous une formation spécifique pour assurer votre mission de clown hospitalier ?

Nous sommes tous des artistes accomplis et des professionnels. Nous savons faire de la musique, jouer la comédie, certains d’entre nous sont plus magiciens ou jongleurs. Nous avons tous une formation initiale qui est assurée par le Rire Médecin qui vient régulièrement faire cette formation spécifique de clown hospitalier à La Réunion. Nous apprenons notamment comment se comporter en clown à l’hôpital. Nous avons une formation continue tout au long de l’année avec les services hospitaliers pour avoir des connaissances plus « médicales », par exemple nous avons pu avoir une formation autour de la douleur chez l’enfant ou autour des différents cancers chez l’enfant. Nous avons aussi eu une formation sur la dialyse et bien-sûr la première chose que nous apprenons ce sont les règles d’hygiènes à respecter dans un service pédiatrique. Nous sommes par exemple très informés sur les modes de contagions et les règles à respecter pour les limiter. Nous savons quel type de surblouse il faut mettre et quel type de masque il faut porter dans les différents lieux où nous intervenons. Bon c’est sûr que maintenant le masque on ne se pose plus la question et on le porte tout le temps.

Pouvez-vous partager une petite anecdote qui vous a marquée dans vos interventions

Il y en a plein, mais là tout de suite ce qui me revient c’est une rencontre en chirurgie infantile.

Durant les transmissions on nous avait dit que c’était un petit bébé de 6 mois et qu’il était avec sa maman qui était stressée, triste et pas contente d’être là car l’hospitalisation était plus longue et grave que prévue. Lorsque nous sommes rentrés dans la chambre le bébé est dans son lit avec maman à côté, avec un visage fermé. Nous avons commencé à chanter une petite berceuse de notre répertoire et l’enfant a levé les yeux vers nous et avec notre ukulélé, tout de suite, il a souri. Nous avons senti que la musique lui faisait du bien. Tout le temps où nous sommes restés avec lui et sa maman, il avait un énorme sourire. Il était vraiment séduit par le son du ukulélé et la maman le regardait tout sourire. Puis au bout d’un moment elle a commencé à nous regarder aussi en souriant et on a senti que cela lui faisait du bien de voir son enfant sourire.

Voilà ce sont ce genre de petits moments un peu magiques qui sont importants pour nous et qui nous permettent de garder notre motivation. Ce que nous faisons, cela reste d’abord des moments d’humanité au-delà de moments de détente dans des instants qui sont souvent stressants pour les enfants et les parents. C’est beau de voir que pouvons apporter des vibrations plus positives.

Merci Pernette et nous vous souhaitons bon courage dans la poursuite de vos actions pour les enfants. Bonne journée et pouêt-pouêt…

L’APPA est fière de soutenir et de vous présenter l’association Eclats de l’île

En 2003, Anne Tixier a eu l’idée de mettre en place, à la Réunion, une association de clowns à l’hôpital.

En collaboration avec le docteur Yves Réguerre, directeur du service d’oncologie pédiatrique de l’Hôpital universitaire Félix Guyon de Bellepierre, ils fondent l’association Éclats de l’île.

Anne TIXIER mise sur l’expérience et le professionnalisme du Rire Médecin pour bâtir l’association mais aussi pour recruter et former les premiers comédiens clowns de La Réunion.

En 2005, débutent les premières journées des clowns, aujourd’hui, l’association continue son ascension en recrutant de nouveaux comédiens et en multipliant les apparitions.

Tous les clowns d’Éclats de l’île sont des acteurs professionnels, des artistes issus de l’univers du cirque, du théâtre ou de la musique.

Le but de l’association est de dédramatiser l’hospitalisation, de permettre aux enfants de 0 à 18 ans et à leurs proches de retrouver le sourire.

Pour les enfants : Recréer à l’hôpital une parenthèse, où la joie, le jeu, la musique, l’imaginaire et la poésie peuvent prendre leur place et améliorer le vécu des soins et de l’hôpital. Le maintien d’un univers imaginaire et le jeu aident l’enfant à développer des ressources nouvelles et des mécanismes de résilience pour faire face à l’hospitalisation : gestion de la douleur, détresse émotionnelle, solitude.

Pour les parents : Permettre de s’évader, de faire une pause, mais aussi d’avoir de l’énergie pour mieux vivre la maladie de son enfant.

Pour les soignants : Soutenir le personnel soignant en lui offrant des moments ludiques et joyeux dans un cadre professionnel plus agréable.

Il s’agit également d’une collaboration entre clowns et soignants, les clowns peuvent être en mesure de fournir des informations complémentaires, non médicales qui sont parfois utiles pour le suivi des enfants hospitalisés.

De nouveaux projets sont attendus en 2023, notamment « l’école solidaire » qui a pour but de développer et faciliter, avec les inspecteurs académiques, les équipes enseignantes, les principaux et proviseurs, l’émergence de projets solidaires pour l’association et qui permettront la sensibilisation des enfants.

« Réuni’tour II » : Des circuits à parcourir à vélos qui permettrons de récolter des fonds. La première session du « Réuni’tour » avait permis le financement de 2 simulateurs d’IRM ainsi que 80 interventions des comédiens-clowns.

Des projets qui nous tiennent à cœur et que nous aurons l’occasion de vous faire partager.

Pour en savoir plus ou soutenir l’association Eclat de l’île : www.eclatsdelile.com

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