Au CHU d’Amiens-Picardie, l’équipe du Dr. Crespin C. Adjidé, PH Hygiéniste, microbiologiste et administrateur de l’APPA, s’est mobilisée dès le début de la crise sanitaire pour tester la fiabilité des masques offerts par les entreprises. Nombre d’entre eux étaient périmés, mais le laboratoire s’est livré à une véritable course contre la montre pour en mesurer l’efficacité.
Dès le début de la crise, le CHU d’Amiens a été confronté à la pénurie de masques FFP2, destinés aux soignants. Cette situation, très médiatisée, a conduit de nombreux acteurs économiques locaux à expédier leurs stocks à l’hôpital. « On en a reçu de partout, explique Crespin Adjidé, responsable du Laboratoire Hygiène Risques biologique & environnement au sein du Centre de Biologie Humaine (CBH).
Des TPE comme des grands groupes implantés localement, Véolia par exemple, avec des quantités très variables, jusqu’à 8 000 unités ! Une large partie, en revanche, était périmée. Mais vu le contexte et la situation, l’enjeu immédiat a été de savoir s’ils étaient quand mêmes efficaces… ». Le professeur Maxime Gignon, Président du Comité de lutte contre les infections nosocomiales au CHU, mobilise ainsi le service de biologie en vue de répondre à une problématique très concrète :
Comment apporter la preuve que les masques reçus, périmés ou non, sont protecteurs ? ».
Après des recherches informelles sur les pratiques effectuées dans d’autres pays européens (Pays-Bas, Suisse, etc.), l’équipe se réfère également à la méthodologie proposée par l’INRS* (Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles) en vue d’établir un protocole d’évaluation.
Roxane Weiss, bio-hygiéniste, en résume les premières étapes : « On regarde d’abord l’aspect des conditionnements pour vérifier qu’ils n’ont pas été détériorés par la durée du stockage. Puis on réalise un premier contrôle visuel, à plusieurs, sur des échantillons de chaque lot. Enfin, il y a une vérification des élastiques indispensables au maintien nécessaire de la protection ».
Composé de 7 personnes, l’ensemble du laboratoire est mobilisé à partir du 25 mars, en quasi-permanence, sur cette mission de crise, en interface avec le magasin de l’hôpital : « Il est chargé de faire un premier tri sur les arrivages afin de les consigner dans un fichier partagé. Ensuite, il les range, par type de masques, par date de péremption et par lots. Cela permet d’extraire facilement des échantillons. »
La première semaine d’avril, le service reçoit également un équipement dédié, offert par la société 3M, pour réaliser le test à la saccharine, conformément au process de contrôle édité par l’INRS : « C’est le test par l’odeur, explique Roxane. Une fois porté, le masque ne doit pas la laisser passer. Sinon, cela signifie qu’il n’est pas suffisamment filtrant. Donc insuffisamment protecteur… »
Les membres du laboratoire se relaient pour faire les tests, bientôt rejoints par d’autres personnels du CBH. « Pour certains échantillons, il fallait en effet s’y mettre à plusieurs pour identifier la présence d’une odeur. Ou tout simplement parce que les modèles, très variés, ne sont pas adaptés à tous les visages… Et pour les testeurs, c’était aussi le moyen de récupérer directement leur masque, à la source. Le tout dans la bonne humeur ! ». « Le laboratoire s’est ainsi transformé en véritable espace de convivialité, confirme Crespin, dans un contexte évidemment très particulier pour tout le monde ».
Le test à l’odeur est effectué à au moins deux reprises avec un délai de rigueur entre chaque opération. La dernière étape de l’évaluation consiste à mesurer le filtrage du masque, à l’aide d’un compteur de particules, dans une pièce sans traitement d’air. Une fois tous les critères validés, le laboratoire donne son feu vert sur le fichier qu’il partage avec le magasin, qui peut alors en assurer la distribution au personnel.
En trois semaines, jusqu’à la mi-avril, 37 lots ont ainsi été contrôlés, représentant au total plusieurs dizaines de milliers de masques. « Sur les 16 210 unités périmées, plus de 75 % se sont révélés conformes à l’usage, ce qui a considérablement augmenté les ressources de l’hôpital pour faire face à la pénurie. » Si la situation matérielle s’est nettement améliorée entre temps, l’expérience d’Amiens dessine un visage durable pour l’hôpital, ici comme ailleurs, avec ou sans masque ; celui des solutions collectives et de la solidarité…