« Coup de Blouse » : l’interview du Dr. Jean-Victor Blanc Fondateur de Pop & Psy


Médecin psychiatre, auteur, conférencier, créateur du concept “Pop & Psy”, Dr. Jean-Victor Blanc est un praticien hospitalier inépuisable, surtout lorsqu’il s’agit de lutter contre les idées reçues sur la santé mentale. Il s’appuie notamment sur la pop culture et un festival innovant, dont la deuxième édition a une nouvelle fois bien mérité son succès…


« Le secteur des soignants n’est pas épargné par le burn out, ni par la question des troubles psychiques au travail, au contraire. Des choses qui seraient inacceptables dans le monde de l’entreprise sont malheureusement fréquentes à l’hôpital. » 

Dr. Jean-Victor BLANC

J’ai fait médecine à Rennes, en Bretagne. Je n’avais pas spécialement d’idée de ce que je voulais faire, contrairement à certains amis pratiquement nés avec un stéthoscope dans la main… Moi, j’hésitais encore entre plein de choses, mais j’ai eu le concours dès la première année, donc j’ai continué dans cette voie, même si j’ai toujours trouvé les études assez pénibles, très scolaires et pas du tout créatives. En 4ème année, j’ai rencontré la psychiatrie lors d’un stage d’un mois dans un service assez classique et dans lequel je me suis senti vraiment bien. J’étais fasciné par les pathologies, les patients et ça a été un vrai déclic. Il y a d’autres choses qui m’intéressaient dans la médecine mais, à chaque fois, je n’arrivais pas à me projeter dans d’autres spécialités, à parler toute la journée du foie, du cœur des gens ou encore moins d’opérer… Avec la psychiatrie, j’ai découvert une spécialité très variée, très axée sur la culture, dans laquelle les gens ne parlaient pas que de médecine. J’ai ainsi eu envie de m’orienter vers cette discipline, mais je ne voulais pas que ce soit un choix par défaut et je voulais aussi venir à Paris. Donc je me suis mis un peu la pression pour le concours de l’ECN que j’ai préparé en me disant qu’il fallait que je le réussisse pour me permettre d’avoir le choix. Finalement, je l’ai eu et j’ai donc pu choisir de devenir psychiatre à Paris. Je n’ai jamais regretté et c’est toujours un vrai plaisir d’apprendre et d’exercer ce métier…

Pendant l’internat, j’ai exercé dans différents hôpitaux. J’avais découvert, lors de mon premier stage, le service psychiatrie de l’hôpital Saint Antoine, à Paris ; c’est un service ouvert universitaire avec un mode de fonctionnement assez particulier mais qui m’a beaucoup plu… Après mon internat, j’ai fait un petit peu de remplacement en libéral, mais la contrainte temporelle et économique de devoir voir beaucoup de patients en peu de temps ne me correspondait pas. J’ai eu alors la chance de revenir à Saint-Antoine pour mon clinicat et j’y suis resté ! Aujourd’hui, je suis très content d’exercer à l’hôpital public, malgré toutes les difficultés auxquelles il est confronté, mais j‘essaie d’y croire et de me dire qu’on a vraiment de la chance d’avoir ce système-là. L’exercice hospitalier permet également de ne pas avoir de rapport financier avec ses patients et de diversifier son activité – même si je suis désormais à temps partiel, surtout dans un établissement et un service qui proposent à la fois de la consultation, de la recherche et de l’enseignement.

Il faut revenir à mon premier stage en psychiatrie, lorsque que j’étais encore étudiant en médecine et que je travaillais sur la schizophrénie. J’étais allé voir Black Swan au cinéma et j’ai retrouvé plein de symptômes, dans le film, qui ressemblaient à ceux que les patients décrivaient et je n’arrivais pas forcément à bien comprendre à l’époque. Ça a vraiment été un choc visuel et intellectuel ! Ensuite, durant l’internat, je me suis assez vite intéressé à la question du stigmate de la psychiatrie et des patients parce que les deux sont liés. Il faut comprendre, encore aujourd’hui, que les psychiatres ne sont pas toujours considérés comme de “vrais” médecins. Et que beaucoup de personnes considèrent que les patients qui vont mal n’ont qu’à se secouer, que la dépression n’est pas une maladie et que, par conséquent, nous, psychiatres, nous ne soignons pas de vraies maladies… J’ai ainsi fait ma thèse sur la représentation des médicaments anti-dépresseurs chez les patients pour comprendre et montrer à quel point ils sont stigmatisés. Dès cette époque, j’avais envie de créer des passerelles et d’aborder ces questions à travers une approche plus large, qui est également sociale et sociétale. 

L’idée concrète de Pop & Psy est arrivée pendant mon clinicat, lorsque l’on m’a proposé de faire une conférence sur la santé mentale en direction d’un public jeune et pour laquelle j’avais carte blanche. Étant un grand amateur de pop culture et l’actualité étant prolifique sur ce sujet (Britney Spears, Thirteen Reasons Why…), plein de sujets commençaient à émerger et la conférence a eu un grand succès : il y a eu beaucoup de monde et un fort intérêt médiatique, ce qui m’a permis de renouveler l’exercice à plusieurs reprises et de rencontrer Florence Trédez, journaliste à Elle, dans le cadre d’une interview. Ca a été un vrai coup de coeur amical et professionnel ! J’ai pu écrire un livre, Pop&psy, puis il y a eu d’autres conférences, les ciné-clubs, un podcast chez Majelan à travers lequel j’ai fait la connaissance d’Emmanuelle Fellous. Ensemble, tous les trois, on s’est lancé dans cette folle aventure de créer un festival dédié à la santé mentale…

L’idée du festival “Pop & Psy” est venue avec l’envie de pouvoir traiter davantage de sujets que dans le cadre d’une conférence, de partager, d’échanger et d’interagir avec des personnes issues d’horizons très variés : psychiatres, cliniciens, personnalités, artistes, représentants associatifs, etc.  On avait envie d’allier quelque chose de très scientifique et clinique à quelque chose de grand public, ludique et fun, le tout dans une ambiance pointue au niveau artistique et dans un lieu festif. Ground Control, à Paris, était l’endroit évident : ce n’est pas un lieu de soin ni d’enseignement, mais un lieu de rencontre, de fête et d’échange, à l’image de ce qu’on imaginait pour le festival et dans lequel on se sent bien, y compris pour parler ou entendre parler de ses propres problèmes… Lors de cette deuxième édition, on a notamment évoqué le  “coût mental” du racisme ; c’est un sujet souvent éludé, particulièrement en France où on est très frileux sur cette question. On a également interrogé la santé mentale des hommes et les stéréotypes de genre, l’intelligence artificielle avec Cynthia Fleury, le métier d’artiste avec Camille Lellouche, etc. On espère faire d’autres éditions, car le sujet est tellement vaste qu’on peut le creuser et le traiter sous plein de manières différentes. 

C’est un vrai sujet que l’on a également traité lors du festival. L’univers des soignants n’est pas épargné par le burn-out, loin de là, ni par la question des troubles psychiques au travail. Des choses qui seraient inacceptables dans le monde de l’entreprise sont malheureusement fréquentes à l’hôpital, comme le fait, par exemple, de ne jamais avoir de visite médicale. La prise en compte de la santé mentale des soignants n’est pas toujours optimale pour plein de raisons, souvent complexes, structurelles et liées à une certaine “culture” du métier. Pourtant, la santé mentale concerne tout le monde, donc être soignant, même psychiatre, ne protège évidemment pas des troubles psychiques. Il faut libérer la parole sur le sujet : on peut avoir un trouble dépressif, une addiction et être infirmier ou médecin ! Et ce n’est pas parce que nous sommes soignants en santé mentale que nous sommes indemnes des idées reçues sur le sujet. L’enjeu pour nous est également d’incarner ce sujet et d’en faire quelque chose de positif en encourageant les personnes à prendre soin d’eux et à en parler…

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