Visage de l’APPA : portrait du Dr Silvia Pontone
Praticien hospitalier en anesthésie-réanimation à l’hôpital pédiatrique et universitaire Robert Debré, à Paris, Dr Silvia Pontone a une carrière brillante et foisonnante entre le soin, la recherche, l’enseignement, les publications scientifiques et ses différentes responsabilités au sein de l’AP-HP. Correspondante locale de l’APPA, elle prend le temps de nous raconter son parcours qui nous fait voyager, la tête bien accrochée, de la néonatalogie à la démographie médicale, avec trois piliers : la rigueur, la passion et la transmission.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Je me suis orienté vers la médecine vraiment par vocation. Ce n’était ni un héritage familial ni une évidence sociale. J’ai commencé mes études à la fin des années soixante-dix, à une époque où la quasi-totalité des étudiants venait de familles de médecins ou de professions libérales. Ce n’était pas mon cas, loin de là. Dans mon environnement familial, il n’y avait aucun héritage médical, aucun réseau, aucun modèle à suivre… J’ai donc dû travailler beaucoup, m’accrocher et parfois me battre pour trouver ma place dans un milieu très codifié. Ceci dit, je n’ai jamais douté du sens de mon engagement et les efforts ont payé. La médecine représentait à la fois, pour moi, un engagement humain et une forme d’exigence intellectuelle. Très tôt, j’ai compris que ce serait un métier prenant, parfois rude, mais profondément utile et passionnant. Avec le recul, je pense aussi que certaines histoires personnelles jouent un rôle inconscient dans ces choix : il y a souvent, chez les soignants, un rapport intime à la fragilité, à la réparation…
Après avoir rejoint Paris pour votre internat, vous choisissez l’anesthésie-réanimation, une spécialité peu féminisée à l’époque…
Oui et je vous le confirme, ce n’était pas un choix évident dans les années quatre-vingt ! J’étais d’ailleurs la seule femme de ma promotion à choisir cette spécialité, qui n’était pas spécialement encouragée pour les femmes, ni vraiment valorisée. Je me suis souvent entendu dire : « ce n’est pas une discipline faite pour vous ! ».
Pourtant, c’est précisément ce qui m’attirait, car l’anesthésie-réanimation est au cœur de la médecine moderne : elle conditionne la chirurgie, la réanimation, les soins lourds ; elle impose une rigueur absolue, une capacité d’anticipation permanente et un travail collectif très fort.
C’est une médecine de l’ombre, mais sans laquelle rien n’est possible.
Pourquoi la pédiatrie et, plus précisément, la néonatalogie ?
La pédiatrie s’est imposée progressivement mais assez naturellement. Soigner des enfants, et en particulier des nouveau-nés, confronte à une médecine de l’extrême. Dans ces services, tout peut basculer en quelques minutes : les marges d’erreur sont infimes, les décisions doivent être rapides, justes, proportionnées. Au tournant des années quatre-vingt-dix, la néonatalogie était en pleine révolution, ce qui était vraiment passionnant. On commençait à prendre en charge des prématurés de plus en plus petits, de plus en plus fragiles. Aujourd’hui, on parle d’enfants qui peuvent peser 500 grammes à la naissance mais, à l’époque, c’était impensable ! Ces avancées ont été rendues possibles grâce aux progrès conjoints de la réanimation, de l’anesthésie, des médicaments et des techniques de ventilation. Être témoin mais aussi actrice de ces évolutions a été extrêmement marquant tout au long de ma carrière.
Votre parcours vous conduit en parallèle vers la recherche et la démographie médicale : pouvez-vous nous raconter comment ?
C’est vrai et cela peut surprendre, mais ce virage est né d’un constat très concret : à la fin des années quatre-vingt, une réforme du troisième cycle des études médicales avait réduit drastiquement le nombre de médecins formés. Sur le terrain, nous commencions déjà à percevoir des tensions, mais personne ne semblait mesurer les conséquences à long terme. Le sujet m’intéressait pour contribuer à comprendre et trouver des solutions. C’est ce qui m’a menée vers les biomathématiques puis vers la démographie médicale. À l’époque, la médecine fondée sur les preuves commençait tout juste à s’imposer. Appliquer ces méthodes à l’organisation du système de santé était essentiel….
Mon orientation vers un DEA, puis un doctorat de biomathématiques, au sein de l’école doctorale du Pr. Alain-Jacques Valleron a découlé de ma volonté d’évaluer le bénéfice des soins, notamment en anesthésie réanimation. A la demande de mon directeur, le Pr Jean- Marie Desmonts, j’ai consacré mon travail de recherche à la démographie médicale des anesthésistes-réanimateurs puis je l’ai extrapolée à l’ensemble des spécialités. C’est une thématique qui devait durer six mois mais qui ne m’a pas quitté… Dès 1991, j’ai également eu l’occasion d’engager des travaux sur le sujet sous la responsabilité de Nicolas Brouard, chercheur à l’Institut national d’études démographiques (INED). On a notamment fait un papier, qui a beaucoup circulé à l’époque au sein de l’Assemblée nationale, dans lequel on annonçait le déclin démographique des médecins qui allaient s’orienter vers l’anesthésie-réanimation. En 1995, l’année où je suis devenue PH, j’ai également été reçue au concours de l’INED pour devenir chercheur associée. J’ai également eu l’opportunité, la même année, de rejoindre la direction des affaires médicales de l’AP-HP, en tant que spécialiste du sujet.
Cette triple casquette entre la pratique médicale, la recherche et mes différents engagements au sein de la gouvernance des hôpitaux parisiens, constitue le fil rouge de ma carrière depuis trois décennies.
Quels ont été vos principaux champs de recherche à l’INED ?
Au sein de l’Institut, nous avons construit des modèles démographiques solides, basés sur des données objectives. Dès le début des années quatre-vingt dix, par exemple nous avons montré que si rien n’était fait, certaines spécialités en particulier l’anesthésie-réanimation allaient perdre jusqu’à 50 % de leurs effectifs en quelques décennies. Ces travaux ont parfois suscité de fortes résistances, car beaucoup de décideurs pensaient que ces projections étaient excessives ou alarmistes. Pourtant, au contraire, la démographie est une science très fiable : lorsqu’on connaît les flux d’entrée et de sortie, l’avenir est largement prévisible. Le problème, c’est que les décisions politiques ont souvent été prises avec dix ans de retard, ce qui est considérable, surtout pour une activité dont le temps de formation est très long… En parallèle, nous avons également travaillé sur de nombreux sujets pour lesquels la démographie médicale est déterminante en termes de politiques de santé, de stratégie de prévention et/ou de prise en charge. Ce fut notamment le cas pour l’épidémie de SIDA dans l’Afrique subsaharienne, à une époque où on annonçait plus de 40 millions de personnes séropositives sur le continent ! J’ai beaucoup travaillé sur le sujet et effectué notamment deux missions sur le terrain au Centre Pasteur de Yaoundé et à l’Institut Pasteur de Dakar.
En France, est-ce que les travaux auxquels vous avez participé ont eu des conséquences, directes ou indirectes, sur les politiques de santé ?
Oui, je pense, progressivement et parmi tout un ensemble d’avancées. Ils ont contribué à la mise en place de filières spécifiques pour certaines spécialités, à l’augmentation du numerus clausus, à la création d’observatoires de la démographie médicale. Cela a permis de limiter les pénuries les plus graves, notamment en pédiatrie ou en gynécologie. Mais il faut aussi rester lucide : si ces décisions avaient été prises plus tôt, les tensions actuelles seraient moindres, car la démographie ne pardonne pas l’inaction prolongée…
Est-ce que vous vous êtes posé la question, à un moment donné, de choisir entre le soin et la recherche ?
Non, à vrai dire, cela n’est jamais arrivé parce que je n’ai jamais voulu renoncer ni à l’un ni à l’autre.
La clinique me nourrit autant que la recherche, et réciproquement. J’ai toujours vécu entre deux temporalités : celle de l’urgence médicale, particulièrement en pédiatrie, et celle, beaucoup plus longue, de la recherche, des enquêtes, des analyses…
C’est exigeant, parfois épuisant, mais extrêmement formateur ; cette double approche permet de ne jamais perdre de vue la réalité du terrain, tout en évitant une démarche de recherche déconnectée du soin et de l’action.
Comment avez-vous vécu la crise sanitaire en tant qu’anesthésiste-réanimatrice et observatrice, depuis longtemps, des pénuries médicales ?
La crise du Covid a été une période extrêmement marquante pour moi, sur le plan personnel et professionnel. D’abord, j’ai été contaminée très tôt, dans les tous premiers jours de l’arrivée de la pandémie sur le territoire, à un moment où l’on ne comprenait pas encore bien ce qui se passait.
Au-delà de l’épreuve personnelle, ce qui m’a frappée, c’est la confirmation brutale des analyses scientifiques sur lesquelles nous travaillions depuis 25 ans. Si nous avions réellement perdu, sans réagir, 40 ou 50 % de nos effectifs médicaux et paramédicaux, le système hospitalier n’aurait tout simplement pas tenu ! Le fait d’avoir des ressources humaines encore suffisantes a permis de faire face, malgré les conditions de travail extrêmement difficiles. Pour moi, cela a donné un sens très concret à des années de travail d’anticipation souvent invisibles, mais dont la réalité de la crise a démontré toute l’utilité et, je l’espère, le rôle fondamental pour mieux s’y préparer…
L’enseignement est un autre pilier de votre carrière, pouvez-vous expliquer comment ?
Absolument, j’ai toujours enseigné, sans interruption, dans des cadres très différents, de la fac de médecine à Science Po. Pour moi, l’enseignement est également indissociable du soin et de la recherche ; et, en tant que praticien, je le considère même comme une responsabilité majeure pour transmettre la connaissance et l’expérience du terrain auprès des étudiants, des internes et de toutes les catégories de soignants. Ça l’est évidemment pour la prise en charge des urgences vitales et, plus généralement, pour tout ce que j’ai appris au cours de ma carrière à travers mes différentes activités, comme la physiologie du nouveau-né, la démographie médicale ou les bases de la prévention.
L’enseignement et la transmission sont absolument déterminantes dans notre métier, car ils permettent de préparer les nouvelles générations à exercer dans un monde médical de plus en plus complexe.
Avez-vous justement un message à transmettre à ces nouvelles générations de médecins ?
Je leur dirais simplement de chercher à faire ce qui leur donne du sens, sur le plan professionnel mais aussi personnel ; de ne pas avoir peur des parcours non linéaires, d’accepter les détours, les rencontres, les mondes différents, comme ceux que j’ai réussi à articuler à travers ma propre expérience.
Une carrière médicale, quelle qu’elle soit, est faite d’engagement, de doutes, parfois de renoncements, mais c’est aussi et surtout un formidable vivier d’opportunités et de rencontres humaines.
Si l’on travaille avec rigueur et passion, on ne s’ennuie jamais! Je peux vous le garantir…
Un mot, pour finir, sur votre adhésion à l’APPA ?
J’ai adhéré en 1996, quelques mois après être devenue praticien, à une période de ma vie où la protection sociale était également un enjeu essentiel. Ce qui m’a convaincu, c’est le modèle associatif, non lucratif et la capacité d’accompagnement personnalisé, mise en œuvre sur le long terme.
L’APPA n’est pas une mutuelle comme les autres : elle ne se limite pas à une logique de remboursement, car l’Association accompagne également les parcours, les carrières, les situations de vie – y compris dans les moments difficiles, tout en s’adaptant en permanence à l’évolutions des besoins sur le plan de la santé au sens large.
Je suis bien occupée dans mes différentes fonctions mais je suis heureuse de pouvoir y consacrer un peu de temps en assurant ce rôle de correspondant local, au sein de mon hôpital, pour faire connaître l’Association et répondre aux questions des collègues.
Rédacteur : Gabriel Viry, Directeur de l’agence KIBLIND.