
Rencontre avec Catherine Séru
Victime de harcèlement en milieu professionnel, Catherine Séru s’est reconstruite en travaillant sur les origines de son traumatisme et sur la relation avec la maltraitance infantile. Entourée par des spécialistes du sujet, dont Dr Boris Cyrulnik et Catherine Belzung, elle a créé une association dédiée et réalisé un court-métrage, soutenu par l’APPA. Nous avons recueilli son témoignage aussi bouleversant que profondément résilient.

Visionnez la bande annonce du film
« Une vie après »
Catherine Séru, réalisatrice du film

UNE VIE APRÈS
Quel a été votre parcours personnel et professionnel ?
J’ai 66 ans, je suis mère de cinq enfants et grand-mère de bientôt douze petits-enfants. J’ai toujours travaillé au service de l’intérêt général en tant que fonctionnaire, d’abord comme institutrice puis inspectrice des impôts. Malheureusement, j’ai été victime de harcèlement moral dans le cadre professionnel, ce qui m’a conduite à une hospitalisation et, à terme, à une retraite anticipée. Cette épreuve a été déterminante. Grâce à un psychiatre à l’écoute, j’ai pu reprendre confiance en mes capacités, notamment intellectuelles, qui avaient été profondément ébranlées par cet épisode douloureux. Pour me reconstruire et retrouver un sens à mon parcours, j’ai lancé différentes initiatives, dont l’association « Et si nous en parlions » avec comme support ce film, pour expliquer et prévenir les situations de maltraitance, dès l’enfance.
Comment est née l’idée du court-métrage, « Une vie après » ?
A l’issue de mon traumatisme j’ai commencé à m’interroger sur mes difficultés relationnelles, cognitives et émotionnelles, présentes depuis l’enfance. Les recherches en neurosciences m’ont permis de faire le lien entre ces dysfonctionnements et les violences subies dans ma jeunesse. J’ai notamment appris que la maltraitance laisse des traces physiques dans le cerveau, comme l’ont montré les autopsies de jeunes suicidés ayant été maltraités.
J’ai d’abord écrit une nouvelle racontant l’histoire d’une petite fille victime de violences, mais elle a été perdue avec mon ordinateur. Dix ans plus tard, j’ai ressenti le besoin de raconter cette histoire autrement : non plus par l’écrit, mais par l’image. C’est ainsi que j’ai décidé d’écrire un scénario.
La rencontre avec Boris Cyrulnik a été un déclic. Il m’a expliqué l’importance de la création comme vecteur de transmission pour aborder des sujets douloureux avec les enfants.
Cela m’a inspirée pour transmettre mon histoire à travers un film…
De quoi parle le court-métrage ?
Le film raconte l’histoire d’une fillette vive de six ou sept ans, confrontée à une famille dysfonctionnelle. Elle subit des violences physiques et psychologiques : enfermement, humiliations, dénigrements. Ces violences ne sont jamais montrées de manière brutale, mais elles sont suggérées.
Un événement dramatique survient, un accident impliquant la mère. La fillette est ensuite confiée temporairement à sa nounou, une figure bienveillante, ce qui suggère la possibilité d’une reconstruction.
Des images en 3D illustrent les effets des traumatismes dans son cerveau : peur, origine de la dissociation, troubles de la mémorisation troubles relationnels d’attachement. Le récit met l’accent sur le fait que ces situations peuvent survenir dans n’importe quel milieu, même favorisé, au-delà des stéréotypes.
Mon intention était de proposer une œuvre à la fois belle et profonde, qui touche par effet miroir, sans être choquante.
Pourquoi avoir créé cette association « Et si nous en parlions » ?
L’association est née il y a deux ans, en parallèle de la conception du film. Elle vise à sensibiliser aux effets de la maltraitance sur le développement de l’enfant. Son objectif est de créer des espaces de parole et d’échange à travers le film, en partenariat avec des scientifiques, des professionnels de l’enfance et des institutions.
Quelles sont ses actions concrètes ?
Nous agissons sur deux principaux volets :
- Sensibilisation en milieu scolaire : nous intervenons de la troisième à la terminale, à travers des projections du court-métrage suivies de débats. L’objectif est de questionner les élèves sur le développement du cerveau et les impacts des violences éducatives ordinaires.
- Accompagnement à la parentalité : nous souhaitons proposer des actions en amont de la naissance, en suscitant la création et le développement des maisons de la parentalité et des mille premiers jours. par un maillage dense et structuré sur le territoire. Ces espaces permettent de sensibiliser les futurs parents, créer du lien social entre parents et offrir un accompagnement professionnel accessible qui notamment sensibiliseraient à la formation du cerveau des enfants.
L’idée centrale est de comprendre que la maltraitance est souvent le reflet d’une souffrance parentale. Il faut donc accompagner plutôt que simplement sanctionner.
Que symbolise le colibri, logo de l’association ?
Le colibri fait référence à une légende : face à un incendie, le colibri, seul parmi les animaux, tente d’éteindre le feu en transportant des gouttes d’eau. Quand les autres lui disent qu’il n’y parviendra pas tout seul, il répond : « Je sais. Je fais ma part. »
Ce symbole incarne parfaitement notre démarche. Nous savons que nous ne changerons pas le monde seuls, mais nous faisons notre part…
Rédacteur : Gabriel Viry, Directeur de l’agence KIBLIND.